Il existe une pratique qui est plus ou moins devenue une règle et qui veut que toute nouvelle activité, que ce soit un effet nouvellement démontré, un mode d’action, ou un nouveau test, voir une nouvelle mode, fasse l’objet de nouveaux produits et de spécialités pour les faire. Ceci conduit à un effet inflationniste du nombre d’ingrédients avec bien souvent des effets de répétition. Pourtant il est quelquefois possible de faire autrement.
Il s’agit par exemple de challenger des ingrédients existant à l’aune de la nouveauté. C’est en partie une des raisons qui fait que nous voyons de temps à autre revenir sur le devant de l’actualité des ingrédients déjà connus comme la Glycérine, l’urée, la cire d’abeilles, la vaseline, le vinaigre ou sa combinaison avec du miel, l’oxymel et quelques autres comme la lanoline qui renaitra peut-être de ses cendres encore fumantes grâce au projet Tricolor en sont la démonstration.
Dans les spécialités, il en est de même. Quelques rares fabricants ont eu la bonne idée, dû peut-être quelques fois au hasard, de challenger des ingrédients anciens au travers des idées nouvelles. Je voudrais simplement développer quelques exemples qui récemment ont retenu mon attention pour montrer l’intérêt de la démarche et peut-être interpeller sur cette question.
Pheohydrane™ :
Il fût une période assez lointaine où les extraits d’algues étaient utilisés assez largement, soit comme agent de consistance, alginates, carraghénates etc., ou comme actif, souvent dans des produits amincissants à cause d’une vieille histoire d’iode. Ils se sont ensuite faits plus confidentiels. Une propriété était pourtant déjà intéressante, mais était probablement passée au travers des mailles du filet, l’effet substantif. L’effet substantif est la capacité d’un produit cosmétique à adhérer à la surface de la peau ou des cheveux et à y rester après le rinçage ou l’essuyage. Il permet de prolonger l’action du produit et d’améliorer son efficacité. En effet, ces polymères ont souvent cette propriété de base qui n’était pas mise réellement à profit. Par ailleurs l’effet hydratant, que nous savons maintenant mesuré, était plus particulièrement recherché sur des produits non rincer c’est-à-dire restant en contact de la peau.
Dans les années 90 est née l’idée de développer des produits qui pourraient avoir un effet rémanent sur la peau même après élimination, les « rinse off moisturizer » par exemple. Les produits pour la douche ou les masques étaient de bons candidats. CODIF, devenu CODIF Technologie Nouvelle a alors proposé une spécialité susceptible de développer cet effet, Phéohydrane™, présenté comme un polymère susceptible de se fixer à la surface de la peau et de constituer une couche hydratante rémanente. Des études dans ce sens supporteront cet effet comme en attestent des études de valorisation dans le courant des années 2000 : Pheohydrane 2007
Puis un nouveau concept d’effet de surface va faire son apparition dans le courant des années 2010, le microbiote. Ce fabricant, sans changer la composition du produit, va entamer de nouvelles études autour de cette idée. Partant des similitudes remarquables dans la structure du NMF et des algues, la membrane des algues laminaires peut être considérée comme un homologue de la peau humaine. A l’image du NMF pour la peau humaine, les algues capturent à leur surface des minéraux et des acides aminés présents dans le milieu marin. Inspiré par le rôle clé du microbiote des algues, le mécanisme de Pheohydrane™ implique directement le microbiote de la peau humaine. Complexés au sein de ce polymère, des acides aminés et des minéraux peuvent être continuellement libérés lors de la dépolymérisation du polymère par les microorganismes du microbiote cutané pour enrichir le NMF (Natural Moisturizing Factors) et renforcer l’activité et l’intérêt du produit. Le tout aboutira au repositionnement de cet actif autour d’une nouvelle activité, complémentaire de la précédente, mais le mettant parfaitement à jour plus de 2 décennies plus tard. PHEOHYDRANE 2022 FR
PENTAVITIN®
Cet ingrédient a été développé dans les années 70 par une société suisse un peu particulière, Pentapharm, (repris depuis par DSM Firmenich), dont la spécialité était à des années-lumière de la cosmétique puisqu’il s’agissait de tests de coagulation à partir d’extraits de venins de serpent. Ils avaient décidé de développer à côté de ce métier d’origine, une activité de spécialités cosmétiques. Parmi celle-ci, un complexe hydratant original car reposant d’une part sur l’utilisation d’un mélange de sucres un peu particulier, et de l’idée d’un effet substantif. La démarche était nouvelle et originale car à cette époque, l’idée était plutôt de reconstituer le fameux NMF à base notamment de PCA. Des tests d’orientation avez montré l’intérêt de cette préparation originale. Elle était commercialisée à l’époque en cosmétologie par le CFPA. L’idée était plaisante et l’argumentation intéressante car il était évoqué que cet actif fonctionnait sur « tous les types de peau ». L’approche par type de peau était très classique à cette époque, et on considérait aussi que le classement empirique, peau grasse, normale et sèche était la référence. Toutefois certains travaux commençaient à évoquer l’idée que cette classification était obsolète. L’idée que cet actif pouvait fonctionner sur différents types de peau pouvait donc constituer une originalité. C’est ainsi que dès 1977 son utilisation a été envisagée dans différent type de produit pour le compte de la marque Chanel.

Il existait peu de techniques de d’évaluation à l’époque et le choix reposait souvent sur la conviction. Les produits se sont bien vendus. Quelques années après, à l’aide de tests qui permettaient de mesurer certains effets, nous avons pu constater que le produit qui avait été développé avait une réelle activité hydratante. Nous avions a posteriori la démonstration de l’intérêt et de la pertinence de ce choix.
Suite à de modifications au sein de la société, la marque est passé sous un contrôle différent. Comme toujours les catalogues ont été rationalisés. Pour différentes raisons que je ne connais pas, cette spécialité a été conservée au catalogue, ce qui a été une bonne décision. Entre-temps il avait été démontré que la peau en général et celle du visage en particulier est constitué d’une mosaïque plus ou moins homogène de zone de typologies différentes, ce que cette photo illustre parfaitement.

L’alternance de zones dites sèches et grasse est devenu un fait établi. Les progrès de la technique aidant, de nouveaux tests ont été pratiqués sur la composition d’origine, montrant avec une pertinence étonnante que le produit avait bien les propriétés attendues, à savoir une activité hydratante sur le visage quel que soit la typologie des zones concernées, avec un effet d’homogénéisation du niveau d’hydratation. J’ai relevé récemment que ces propriétés ont été démontré assez formellement par des études parfaitement adaptées. Sur cette photo, on voit que les différentes zones du visage sont équilibrées en ce sui concerne l’hydratation.

De nombreuses publications attestent des performances de ce produit :
- Why is it a moisture magnet – Cosmetic & Toiletries 2003 PENTAVITINE 2003
- Saccharide isomerate to deeply hydrate skin and scalp – Cosmetic & Toiletries, Sep 2012 -Urban skin hydration is a global challenge – PENTAVITIN hydration Happy 2018
- No more dryness after cleansing – Personal Care 2021 PENTAVITINE 2021
- Moisturizing care and hygiene go hand in hand – Personal Care PENTAVITIN Moisturising care and hygiene go hand in hand_Personal Care 2021 PENTAVITINE 2021 2
- Saccharide isomerate ameliorates cosmetic scalp conditions in a Chinese study population – J Cosmet Dermatol. 2022;00:1–5. PENTAVITIN JCD 2022
Le positionnement, les effets évoqués et la pertinence du choix ont donc été confirmé plusieurs décennies après la conception de cette spécialité. Avec la nouvelle approche de visualisation cartographique du visage, tout le potentiel de PENTAVITIN® a été révélé, conduisant même après plus de 40 ans d’existence à un intérêt renouvelé et grandissant dans le monde entier selon le fabricant.
Rétinol Shiseido.
Plus récemment, Shiseido a découvert une nouvelle fonction du « rétinol pur », un ingrédient actif présent dans de nombreux produits de soin. En utilisant une technologie qui leur et propre appelée « système d’imagerie en 3D de l’élasticité interne et externe de la peau », il a été constaté que le durcissement de la couche la plus externe de la peau, appelée stratum cornéum, augmente le stress mécanique sur la couche plus profonde, le derme. Ce stress concoure à la formation de rides. Les recherches de Shiseido ont précédemment révélé que le durcissement du stratum cornéum est une des causes fondamentale des rides. Il est donc important de maintenir le stratum cornéum souple pour améliorer les rides.
Ces recherches ont également montrées que le rétinol pur a l’effet d’adoucir le stratum cornéum, empêchant ainsi la progression des rides de la surface de la peau vers les couches plus profondes. De plus, ils ont exploré des ingrédients capables d’adoucir le stratum cornéum en peu de temps et ont constaté que certains mélanges d’huiles peuvent obtenir cet effet.
Ces réflexions font penser à l’effet CombinatoRx. Cette société a été le chouchou des investisseurs et des capitaux risqueurs lorsque l’innovation était présentée comme un graal absolu. CombinatoRx est une société de biotechnologie spécialisée dans le domaine de la découverte de médicaments et de la recherche en chimie médicinale. Leur approche repose sur l’utilisation de techniques de criblage à haut débit et d’algorithmes informatiques avancés pour identifier et optimiser des composés chimiques prometteurs dans le développement de médicaments. Elle s’est essayée à développer des médicaments à partir de combinaisons synergiques de médicaments approuvés et de molécules déjà connues. La société a poussé dans les essais cliniques de phase 2 un portefeuille de candidats-médicaments destinés au cancer et à de multiples maladies immuno-inflammatoires.
Compte-tenu de la grande quantité de spécialités cosmétiques actives disponibles sur le marché, ce type de démarche pourrait parfaitement être un projet s’appliquant à la cosmétique et aux produits de soin de la peau. Il n’est d’ailleurs pas rare que certaines spécialités aient été développé par association d’ingrédients courant. Mais dans ce cas, la logique est plutôt celle de l’additivité de certaines actions, plutôt que d’une recherche de synergie. Des travaux menés récemment sur l’Oxymel ont montré un réel effet de synergie entre les substances le composant. Il y a d’autres exemples, la preuve de concept n’est plus à faire.
Ces travaux d’actualisation adressent la question de savoir s’il est indispensable de créer de nouvelles spécialités ou plutôt de valoriser celles qui existent déjà à la lueur de l’acquisition de nouvelles connaissances. A une époque où il est régulièrement question de la simplification des formulaires, une démarche qui s’opposerait à l’inflation permanente de nouveaux ingrédients serait probablement pertinente. Rappelons simplement que l’ensemble de l’industrie cosmétique développe une quantité considérable d’ingrédients nouveaux. Il suffit pour s’en convaincre de consulter les listes qui ressemblent à des bottins téléphoniques de nouveaux ingrédients à chaque manifestation type In-Cosmetics, Cosmetagora et autres. Si certaines spécialités ne sont que des associations d’ingrédients banaux, dont on pourrait d’ailleurs se passer, la démarche qui consiste à faire la même chose autrement est un peu l’arbre qui cache la forêt. Il en va en cosmétologie comme en pharmacie où le marketing du médicament à pris le pas sur l’innovation réelle. La gestion du catalogue de ingrédients va devenir une question cruciale. Est-il également utile de rappeler que d’utiliser des ingrédients déjà connu, ayant une utilisation assez large permet d’appréhender autrement les questions de sécurité et d’innocuité, en particulier l’innocuité sensorielle, de stabilité et autre sujet sensible comme le mircobiote.
Il ne s’agit bien évidemment en aucun cas de prétendre que l’on peut tout faire avec des ingrédients anciens, ni de remettre en cause la démarche de recherche. Mais tout autant que de combiner des ingrédients quelquefois banaux, on pourrait quelques fois réfléchir à l’idée de savoir si ce qui a déjà été fait ne mérite pas plus d’intérêt. L’innovation par héritage, telle que nous la pensons, celle qui permet de faire toujours mieux et pas simplement nouveau autrement, devrait faire l’objet d’une démarche plus systématique. La filière cosmétique ne pourrait que s’en féliciter.
Jean Claude LE JOLIFF
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