Le rôle de la Cosmétothèque n’est pas de faire de la prospective. Mais elle a la faculté de pointer l’émergence de faits nouveaux ou de tendances qui pourraient marquer le temps. C’est ce que l’on peut appeler les « nouvelles voies du faire ». En regardant attentivement les tendances actuelles, certaines pourraient bien impacter fortement la filière cosmétique. Dans une série qui traite de différents aspects, nous vous proposons d’essayer de comprendre. Aujourd’hui l’alcool éthylique.
Il existe peu d’ingrédients réellement ubiquitaires dans le monde de la formulation. L’alcool éthylique est l’un d’entre-eux. Il suscite depuis toujours un intérêt majeur et beaucoup de discussions, que ce soit sous l’angle du formulateur, de la réglementation ou des taxes, ou encore de son innocuité. Peu de produits cosmétiques n’utilisent pas l’alcool éthylique pour une raison ou pour une autre. La plus courante, et la plus évidente, est son utilisation comme solvant principal de l’ensemble des produits de parfumerie. Mais il trouve également son utilisation dans de nombreux autres produits pour des raisons fonctionnelles quelques fois un peu différentes. Agent de texture dans les solaires ou les émulsions siliconées, solvant, activateur de gélifiant, agent de fraicheur ou sensoriel. Il n’y a guère que les produits de la cosmétique solides qui sont épargnés de l’utilisation de cet ingrédient, encore que certains mélanges de corps gras l’utilisent indirectement via les argiles organophiles.
Il est aussi le vecteur d’une question qui revient régulièrement : le degré alcoolique. En l’honneur du fameux degré degré alcoolique 1883, des armées de jeunes chimistes se sont escrimés longtemps à appliquer les lois de Gay Lussac avec des appareils de torture s’appelant des alcoomètres, quand il ne fallait pas calculer le titre alcoolique en tenant compte de la loi de Gay Lussac ! Cette question semble ne plus être si persistante.


Souvent très discuté par certains avant la Covid, comme par exemple les utilisations dans les produits solaires, ou son rôle de promoteur d’absorption, Isabelle Larignon dans un excellent article paru récemment dans NEZ, revient en détail sur cet ingrédient en passant en revue les différentes qualités, leurs caractéristiques, leurs usages, les origines en s’attardant tout particulièrement sur les utilisations en parfumerie, les notions d’alcools surfins ou encore d’alcools bio ainsi que les procédures de dénaturation qui ont conduit dans certains cas à des pratiques étranges ! Chacun aura avantage à le lire ou le relire.
Mais les réglementations s’en mêlent via les problématiques environnementales et sanitaires, car l’alcool est depuis les années 1970 considéré comme un COV (composé organique volatil) au même titre que d’autres polluants. Ce qui conduit régulièrement a des effets de pression pour la substitution de l’alcool, en particulier dans les produits de parfumerie. Les solutions étant souvent insatisfaisantes et la crise passé on revenait a des solutions beaucoup plus classiques à base d’alcool. Car comme toujours la crise passe ! Du coup, cet ingrédient revient à son état permanent : un dogme incontournable que certains regardent comme séculaire et immuable !!
Mais voilà qu’il connaît de nouveau une crise de légitimité qui conduit à des évolutions assez significatives. C’est tout d’abord le lancement par des marques de référence de parfum sans alcool. La formulation de parfum sans alcool est connue depuis très longtemps. Elle est synonyme de parfum « à base d’eau » et consiste à utiliser des solubilisants qui sont essentiellement des surfactants pour obtenir la dispersion de la composition parfumante. C’est une vieille histoire qui avait commencé quand l’alcool avait été accusé par erreur de lucites solaires. Les techniques initiales de formulation limitaient les quantités de composition à utiliser et conféraient surtout aux produits des caractéristiques organoleptiques et sensorielles discutables : effet de mousse et toucher collant. Quant aux distorsions olfactives, les parfumeurs ne voulaient pas en entendre parler. Il y a bien l’huile, mais ça n’a jamais vraiment pris. Ne parlons pas des poudres ou de toutes les autres formes de parfumage qui sont regardé comme anecdotiques. Des solutions alternatives avaient été développées comme des brumes lactescentes présentées sous aérosol ou en flacon pompe.
Mais elles ne se sont jamais imposées comme standard. Puis il y eu de nombreuses crises sur ce thème, mais aucune n’a jamais vraiment dépassées le stade de l’émotion ! Lors de la dernière crise du début des années 2000, de nouvelles technologies de dispersion sont apparues, ainsi que des solutions un peu inattendues comme celle qui avait été envisagé d’utiliser la micro fluidique pour disperser la composition parfumante.
Quelques tentatives originales avaient été introduites comme ce parfum soin sans alcool.
De son coté, Cosmetic Design titrait en 2009 : Alcohol free gragances could revolutionaisze industry ! L’introduction par Coty d’un parfum sur ce thème, Nautica, largement primé comme innovation majeure en son temps avait animé la communauté, puis rien ! Le produit existe toujours.
Mais voilà que l’actualité nous propose de nouveau nous intéresser au parfum sans alcool. C’est le cas en particulier du groupe LVMH qui tente de réintroduire un de ses parfums vedette sous la forme d’une dispersion aqueuse.

Les technologies sont discutés dans l’article de la revue cité précédemment. Le produit se présente sous la forme d’une émulsion lactescente, comme c’est souvent le cas. Cette démarche est-elle volontaire, ou constitue-t-elle les prémices de la mise en conformité des produits de parfumerie dans le cadre des réglementations américaines à l’horizon 2030 ? Quoiqu’il en soit ça permet de rester cohérent avec la réalité par opposition a tous les produits s’intitulant eau de quelque chose et qui ne contiennent pas ou peu d’eau ! En tous les cas, ça promet de l’agitation dans le cercle fermé de la parfumerie.
Dans cet article également la question de l’alcool issu de l’Upcycling est abordé. Sauf que l’ingrédient à partir duquel il est réalisé l’opération est un peu particulier puisqu’il s’agit du CO2. !!! L’utilisation du CO2, dont chacun sait qu’il est excédent dans l’atmosphère, comme base de départ pour la réalisation d’un ingrédient de base est une performance assez inattendue. Le procédé est en quelque sorte une démarche de biorémédiation utilisant des bactéries susceptibles de transformer des métabolites industriels en alcool. Extrêmement récente, la technologie de recyclage développée par LanzaTech permet la transformation de déchets industriels polluants comme le monoxyde et le dioxyde de carbone en produits chimiques. Ces gaz résiduels provenant d’aciéries chinoises sont captés puis convertis par des bactéries qui les utilisent comme nutriments pour le processus de fermentation. Elégant non ? Cette démarche devrait séduire certains, et des produits finis sont déjà paru sur le marché à base de cette technologie.
D’autres procédés mis au point récemment permettent également d’envisager la transformation du CO2 en alcool. Les résultats d’une étude récente, publiés dans la revue Green Chemistry, permettent d’entrevoir de nouvelles solutions à base de nouveaux catalyseurs pour convertir et valoriser le CO2. Un autre procédé utilisé pour la fabrication de boissons alcoolisées permet également d’envisager la transformation du CO2 en alcool.
Certaines de ces qualités argumenteront certains ne sont probablement pas qualitativement satisfaisantes pour envisager leur utilisation en parfumerie, et comme souvent avec ces techniques alternatives, les prix sont pour le moment prohibitifs. Mais tout ceci contribue à mettre de nouveau une pression forte sur la substitution de cet ingrédient.
Donc voilà, cet ingrédient dont on pouvait penser qu’il ne lui arriverait pas ou peu de choses, est à la fois sur le point d’être discuté ou remis en cause, et éventuellement fabriquer autrement.
Mais il n’y a pas que l’alcool qui est concerné par le recyclage du CO2, d’autres types d’ingrédients semblent concernés. Vraie information ou effet d’annonce? Affaire à suivre.
Nous sommes bien dans les nouvelles voies du faire.
Jean Claude LE JOLIFF
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