Le rôle de la Cosmétothèque n’est pas de faire de la prospective. Mais elle a la faculté de pointer l’émergence de faits nouveaux ou de tendances qui pourraient marquer le temps. C’est ce que l’on peut appeler les « nouvelles voies du faire ». En regardant attentivement les tendances actuelles, certaines pourraient bien impacter fortement la filière cosmétique. Dans une série qui traite de différents aspects, nous vous proposons d’essayer de comprendre. Aujourd’hui l’eau.
Même si on essaie de nous faire croire que les produits sans eau sont l’avenir de l’homme, cet ingrédient reste au centre de l’industrie cosmétique. C’est incontestablement l’ingrédient le plus ubiquitaire dans cette industrie. Dans les nouvelles voies du faire, l’eau continue d’occuper un rôle tout aussi important que dans les séquences précédentes.
L’eau a été de tous temps présente dans les pratiques de la beauté, avec des usages très sophistiqués au temps où les bains et les thermes étaient d’usage, que ce soit dans les civilisations avancées comme Égyptiens, Grecs ou Romains. Mais aussi dans les « étuves » du Moyen âge avant que l’eau ne soit regardé comme le véhicule de maladies contre lesquelles on ne pouvait rien. Il faudra attendre longtemps avant que son usage ne retrouve une place prépondérante. Maintenant nous serions arrivé à une période de disette où l’économie de l’eau serait la règle.
Mais au fait pourquoi de l’eau dans les cosmétiques ? C’est avec l’apparition des crèmes, en remplacement des pommades sans eau, que son usage va se développer. C’est plus particulièrement le monde de l’émulsion qui se développera progressivement à partir du XVIIIème siècle. A partir de cette époque, on pourrait presque dire que la cosmétique est une industrie dans laquelle l’eau et l’huile sont les maîtres du jeu, avec comme enjeux majeurs comment les fabriquer, les améliorer et comment les mélanger!. Mais pourquoi parle-t-on de produits sans eau ? Pour toute une série de raisons plus ou moins légitimes et que l’on nous présente souvent comme des évolutions inéluctables alors qu’il ne s’agit que de postures quelquefois de circonstance. Pêle-mêle on trouve à l’origine la question des conservateurs antimicrobiens. En effet, l’utilisation d’eau dans les préparations cosmétiques a introduit un facteur de risque important : la contamination microbienne. Cette question a été assez facilement traité pendant de nombreuses décennies par l’utilisation de conservateurs antimicrobiens. Jusqu’à ce que l’utilisation de ces derniers ne commence à poser des problèmes avec un particulier le dossier des parabènes, puis d’autres substances comme les générateurs de formol, les halogénés etc. Mais alors, pourquoi a-t-on mis de l’eau alors qu’il suffisait de ne pas en mettre pour éviter les problèmes ? ça viens tout simplement du fait que la recherche de sensorialité, qui est au centre de la formulation, a propulsé l’eau au premier rang des ingrédients sensoriels. Avant les ingrédients dits « sensoriels » améliorant la sensorialité, cette question ne relevait que de la quantité d’eau que l’on ajoute aux préparations, de l’organisation de la phase aqueuse et d’autres questions de cet ordre. Donc il faut bien mettre de l’eau ! Devant la raréfaction des solutions de protection, l’industrie s’est alors rappelé que les produits anciens ne posaient pas ou peu de problèmes de ce genre. Il s’agissait principalement principalement des produits anhydres, d’où l’idée de repartir sur des concepts de formulation de ce genre. Et pourtant, l’industrie avait fortement investi dans cette question de l’eau, en particulier par le développement de stations de traitement d’eau extrêmement sophistiquées pour purifier l’eau. Mais en purifiant l’eau, il n’est pas rare qu’on la contamine. Un peu le chien qui se mord la queue. Du coup le cycle industriel a évolué entre l’eau « courante », comme on peut le voir dans de vieux carnets de formulation, à de l’eau hautement purifiée, sans aucune rasions, pour revenir aux eaux thermales et eaux de fruits et de végétaux auxquelles ont confère sans raison toutes les vertus.
Nous avions consacré avec l’Observatoire des cosmétiques un important dossier sur l’utilisation de l’eau sous différentes formes. Vous pouvez le relire en suivant ce lien . Les questions des eaux de process étaient traitées, car c’est là qu’est le vrai problème, pas dans l’eau de constitution. Puis nous avions regardé toute une série de contributions sur les typologies de l’eau : eaux thermales de France, l’eau de mer, elle aussi très en vogue et pas en vague ! les eaux florales, devenues des incontournables avec les calculs de naturalité qui fleurissent partout, les eaux de composition, à ne pas confondre avec les eaux florales, mais aussi eaux de fruits, eaux mères une nouvelle idée etc.
Pour les retrouver :
- La France des eaux thermales (1/2)
La France des eaux thermales (2/2)
• Que d’eaux, que d’eaux… en cosmétique !
• L’eau de mer par Setalg
• Les eaux florales par Codif Technologie Naturelle
• Les eaux de composition par Gattefossé
• Eaux-Mères© : une approche originale de l’eau en cosmétique
Depuis ce travail initial a été complété par d’excellents articles sur les eaux thermales oubliées, comme l’eau d’Euzet, ou encore les thermes de Fontcaude, mais aussi celle des Landes, du Nivernais et de quelques autres endroits oubliés.


On pourrait donc imaginer que dans ce domaine, les innovations sont peu probables. Mais ces derniers temps avec les nouvelles voies du faire, on nous propose quelques usages inattendus.
L’eau ionisé : ou Eau de Kangen ou encore par certain eau hydrogénée était également discuté dans cet article cité précédemment. C’est elle qui a fait le débat dans le cadre de la Covid. En effet, une société française, Pharma Beauty, après avoir développé des produits avec ces eaux particulières. Il a été revendiqué en particulier avoir été mis au point un spray nasal à base d’eau ionisé qui aurait un effet virucide et donc de prévention de la contamination par la COVID. Les preuves de ces effets ont été jugées insuffisantes pour permettre la commercialisation il y a 2 ans d’un produit avec cette revendication. Mais la société a poursuivi ses efforts. Une récente publication vient d’alimenter ce débat . Après avoir bloqué sa commercialisation, l’agence a revu sa position et la société a obtenu l’autorisation de lancer une étude clinique exploratoire pour confirmer ces propriétés. Mais cette étude est très compliqué a monitoré et n’a toujours pas pu démarré à ce jour. Des produits cosmétiques ont été commercialisés et des études complémentaires sont poursuivies sur d’aspects particulier de rhinites ou d’allergie. De quoi relancer le débat autour de cette technologie !! Nous n’avons peut-être pas finit d’en entendre parler.
Une autre approche a également fait parler d’elle dans cette séquence. Il s’agit de l’Eau solaire développée par Capsum. L’Eau Solaire™ est un concept d’eau durable imaginé par la société Capsum lors de la création de son site américain de production. La société souhaitait dès le départ du projet opter pour un site exemplaire dont l’ambition serait un impact le plus faible possible sur l’environnement, en minimisant notamment les consommations en énergie et en eau potable. La localisation du site devait ainsi répondre à deux critères : un taux d’ensoleillement permettant d’alimenter toute l’année l’usine en énergie solaire (grâce aux panneaux photovoltaïques recouvrant entièrement son toit) et l’accès à une source d’eau salée pour ne pas entrer en compétition avec les besoins humains, tant en termes de consommation d’eau potable que d’agriculture. Un croisement minutieux des cartes des Etats-Unis retraçant le taux d’ensoleillement annuel et les nappes d’eau salée souterraines a permis d’identifier un site aux conditions idéales à Austin au Texas. Préservé de toute pollution humaine (pesticides, fibres plastiques, hydrocarbones synthétiques), naturellement très salée (13g/L), cette eau est d’abord extraite grâce à un puit foré à 365m de profondeur, puis filtrée et désalinisée par osmose inverse dans une station alimentée en énergie solaire. Un parcours et un concept unique qui lui ont valu de bénéficier d’un nom de marque déposée : Eau Solaire™ / Solar Water™. Cette eau destinée à la fabrication de cosmétiques ne pèse ainsi pas sur les ressources en eau de la planète, un positionnement assez visionnaire (en 2017 à l’époque du projet) lorsque l’on voit de nos jours à quel point cette ressource devient précieuse. Un choix qui apparaissait comme le meilleur pour continuer à développer des cosmétiques contenant de l’eau, une ressource aux qualités indéniables en termes de contribution à la sensorialité (une qualité qui fait malheureusement encore défaut à la cosmétique solide pour convaincre très largement les consommateurs). Pour en savoir plus : Brochure The Lake
Eau en poudre : de nombreux projets d’eau en poudre, dite aussi eau sèche ont été proposés ces 10 dernières années. Il s’agit d’encapsuler de l’eau avec un matériaux hydrophobe pour transformer cette eau en pulvérulent. A ce jour, ça n’a conduit à aucun développement significatif. Est-ce que nous sommes encore dans la phase post découverte assez courante dans toute innovation, ou les applications auraient été déceptives ? Quoiqu’il en soit cette question reste d’actualité, surtout dans la mesure où vous supprimeriez l’eau des formulations. Par ailleurs plusieurs projets de fixation d’eau sur les matrices pulvérulentes ont été proposés. L’écueil majeur étant apparemment l’industrialisation et la mise en production de ces produits. Un projet de ce type était présenté en 2022, un autre également présenté dans le cadre d’un concours d’innovation. Pour aller dans le sens de ce type d’application, la fixation hydrogène sur du nitrure de bore, substance largement utilisée en cosmétique, semble être une voie d’avenir très prometteuse pour stocker l’hydrogène.
Plus que jamais cet ingrédient, qui joue un rôle fondamental en formulation, l’eau étant l’ingrédient sensoriel le plus important, présente des intérêts multiples qui font que sa suppression des formulations est peu probable, et que tout au plus on peut peut-être penser à une réduction des dosages. Espérons que l’on échappera encore longtemps à la mémoire de l’eau, encore que quelques allégations fassent sursauter.
Bonne lecture.
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