Le rôle de la Cosmétothèque n’est pas de faire de la prospective. Mais elle a la faculté de pointer l’émergence de faits nouveaux ou de tendances qui pourraient marquer le temps. C’est ce que l’on peut appeler les « nouvelles voies du faire ». En regardant attentivement les tendances actuelles, certaines pourraient bien impacter fortement la filière cosmétique. Dans une série qui traite de différents aspects, nous vous proposons d’essayer de comprendre. Aujourd’hui Biosourcing et Up-cycling.
L’évolution des pratiques touchent tous les domaines de la formulation. Appliqués initialement aux ingrédients dits actifs, auxquelles nous nous sommes intéressés précédemment, ces nouvelles pratiques gagnent petit à petit d’autres domaines de la formulation comme celui de l’origine et des modes de production des ingrédients de base: On les appelle communément les commodités, mais improprement car elles jouent un rôle souvent considéré comme secondaire, alors qu’elles sont aussi importantes que les ingrédients dits actifs.
C’est ainsi que deux approches sont venues compléter l’arsenal technologique habituellement utilisé pour produire ces ingrédients. Il s’agit du biosourcing dit encore ingrédients biosourcés et de l’Up-cycling, dit également recyclable. Ces approches sont souvent confondues. Dans le biosourcing, l’idée est de remplacer un matériau d’origine minérale ou autre, non renouvelable, par un matériau d’origine biologique, renouvelable, quand l’up-cycling consiste à utiliser des matériaux destinés à être jetés pour les réintroduire dans la chaîne de consommation, après leur avoir redonné une valeur. Ces approches se développent fortement sous la pression de l’effort de la protection environnementale, qui en constitue souvent le moteur. De plus tous les domaines doivent relever des enjeux globaux importants. L’intégration de la biologie dans les modes de production a permis de multi initiatives avec beaucoup de recherches conduisant à des ingrédients très intéressants. C’est ce que certain appellent Bio Innovation ou encore biologie de synthèse.
Les approches sur lesquelles reposent ces avancées sont quelquefois très anciennes, mais on peut considérer que les choses se sont accélérées depuis les années 2000, venant compenser un déficit d’investissement en R&D dans le domaine de la chimie. Les années 2020 pourront être regardées comme celles pendant lesquelles ces techniques sont apparues au niveau d’applications réelles sortant ainsi du domaine de la recherche pure. Ce sont réellement de nouvelles façons de faire dans le domaine des ingrédients de base. Des avancées récentes ont permis de mettre l’accent sur de nouveaux ingrédients dans les différents domaines. Prenons quelques exemples.
Dans le monde des huiles, le squalane est connu depuis très longtemps et son utilisation est courante depuis de nombreuses décennies. Son origine animale a donné il y a quelques années de problème, limitant son utilisation. Nous nous étions intéressés à cette question dans une contribution précédente. Vous pourrez retrouver les informations en suivant ce lien.
Plus tardivement et un peu sur la même logique, le domaine de la formulation a vu apparaître une nouvelle génération d’huiles dites les bio-alcanes, élargissant le concept à d’autres familles. Là aussi, cette question avait été abordé dans une série de contributions que vous retrouverez en suivant ces liens :
Ces substances sont étonnantes. Mon maître Jean Lavollay , aurait probablement eu son œil noir et un frémissement du sourcil s’il avait suivi l’actualité. Il a été titulaire après d’autres savants célèbres comme Javillier ou Boussingault de la Chaire de Chimie Agricole et Biologique au Conservatoire National des Arts et Métiers.
Eh oui, n’en déplaise à quelques-uns, la chimie et la biologie ont fait bon ménage pendant très longtemps, on a même appelé ça la biochimie ! Ces sciences se complétaient et ne s’opposaient pas et nous proposent aujourd’hui des avancées étonnantes. En effet, certaines de ces substances nouvelles sont impaires en carbone, et ça aurait fait hurler Jean Lavollay, qui enseignait que la nature ne sait faire que des molécules paires. Par ailleurs il n’existe pas d’arbre à alcanes ! Mais les chimistes savent le faire !!! Il avait tort, mais il ne l’a pas su. Ce n’est donc pas vraiment du naturel, mais avec une bonne dose de chimie, on dispose de nouvelles huiles qui se veulent vertes. Ces approches sont souvent présentées comme des voies de production naturelle, ce qui est rarement le cas. Pour la majorité, il s’agira de produire des molécules dites synthons, à partir desquelles, avec des techniques complémentaires faisant souvent appel à des techniques de chimie, on va produire la molécule finale à partir de ces synthons. Tout ça a été mis en musique de main de maître et depuis de nombreux mois, on essaie de nous faire croire que ce sont de nouvelles substances. En fait, ce sont les mêmes qu’avant ou presque, et avec lesquelles pour le moment on fait les mêmes choses qu’avant. Mais ne boudons pas notre plaisir car ce sont des avancées intéressantes issues de la main de l’homme combinées au meilleur état de l’art.
Mais il reste de nombreuses questions à aborder sur ces thèmes comme la disponibilité des intrants pour avoir les molécules de départ, une biomasse pérenne, fiable et quantitativement suffisante, le prix de ces ingrédients et l’impact des bioraffineries : quelques-unes sont monstrueuses !. De ce point de vue il convient de remarquer l’excellent article A.Piccirilli et de D. Lanquetin sur la comparaison des différents modes de production des bio alcanes [Article Actu. Chimique 0708 2022 Les Bioalcanes en Cosmétique HD]. Les piètres performances économiques et environnementales des alcanes biosourcés constituent une question importante. Tous les utilisateurs de ces substances devraient être conscients et se questionner car tout ne se vaut pas. Des progrès spectaculaires devront intervenir dans ce domaine si l’on veut que ces substances s’installent durablement. Pour compléter sur ce thème, le verbatim utilisé est souvent confusant. Ces substances reprennent souvent les noms des produits précédents, laissant à croire qu’il s’agit d’une simple substitution. Ce ne sont ni des alcanes au sens académique, ni des huiles de betteraves ou de canne sucre pour d’autres. Les choses seraient peut-être plus simples et plus claires si on leur attribuait un verbatim qui leur convient. Ce ne sont probablement que des pudeurs de vieux caciques. Ce ne serait pas plus mal que d’inventer des sigles nouveaux régulièrement ! Cette question commence à faire débat et on lira avec intérêt cette contribution : Regulatory & Legal issue. qui discute justement l’idée que d’appeler ces ingrédients « naturels » constituerait aux USA une contravention aux règles en place. Ceci est d’ailleurs a rapprocher d‘autres mouvements discutants cette question des appellations versus naturel.
En ce qui concerne les avancées relevant de l’upcycling, ceci concerne plus souvent pour le moment des ingrédients dits actifs. Cette approche avait fait l’objet d’une contribution dans laquelle nous présentions des exemples d’up-cycling anciens pour montrer que ce n’est pas totalement nouveau, mais aussi des contributions plus récentes et très intéressantes.
Pour finir, le récent exemple de l’attribution des Prix de recherche de la Cosmetics Valley pour 2022 illustre bien ces tendances. Ils concernent presque tous des avancées sur ce thème.
Dans ce domaine, les instituts Carnot constituent une force de recherche très importante. Je vous invite à écouter la très bonne conférence donnée conjointement avec les Mardis de l’innovation sur ce thème.
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Voila donc quelques éléments qui permettront peut-être à celles et ceux qui veulent comprendre de s’y retrouver dans ces approches qui changent nos règles et nos habitudes.
Bonne lecture et bon été.
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