Le rôle de la Cosmétothèque n’est pas de faire de la prospective. Mais elle a la faculté de pointer l’émergence de faits nouveaux ou de tendances qui pourraient marquer le temps. C’est ce que l’on peut appeler les « nouvelles voies du faire », en ligne avec différentes tendances dont celle des « makers ». Un « maker » est une personne souhaitant passer d’une idée à un produit aussi rapidement que possible. Il utilise pour cela notamment des outils de conception, de prototypage ou de fabrication rapide et qui pour le coup conduisent à de nouvelles voies de R&D. Ce sont souvent des ferments d’innovation. En regardant attentivement les tendances actuelles, certaines pourraient bien impacter fortement la filière cosmétique. Dans une série qui traitera différents aspects, nous vous proposons d’essayer de comprendre. Aujourd’hui les extraits végétaux.
Une petite revue des projets :
Les premiers projets concernaient principalement l’idée de produire des végétaux par des techniques d’hydroponie ou des approches équivalentes. L’idée est de faire croitre la plante dans un environnement clos et parfaitement contrôlé, puis d’éliciter la plante dans des conditions précises pour exprimer des substances préalablement identifiées.
C’est ainsi que des projets comme PAT ont vu le jour et ont commencé à fréquenter les salons professionnels avec ces technologies. Créée en juin 2005 en vue d’exploiter une technologie de l’institut national polytechnique de Lorraine INRA. La technologie de Plantes à Traire est un procédé qui permet de cultiver des plantes en aéroponie et de les stimuler afin de leur faire produire des molécules ciblées en grande quantité. Les racines, par un processus d’exsudation, délivrent ces actifs aux caractéristiques remarquables. La technologie PAT Target Binding permet d’identifier rapidement dans des extraits complexes les molécules naturelles qui soutiennent les activités essentielles pour des applications cosmétiques innovantes. En 2019, elle contracte avec des opérateurs de la filière cosmétique comme Clariant, pour la mise au point de spécialités. En 2012, elle avait signé un accord de production avec un autre groupe cosmétique français. Plusieurs actifs produits par cette société ont vu le jour au travers de partenariats avec Expanscience ou Seppic. La société poursuit son développement. Au travers de son partenariat avec Clariant elle vient de mettre au point Rootness Awake, extrait des racines d’Ipomoea batatas plus communément appelée patate douce. Elle contient une substance, l’acide 3,5 dicaféoylquinique, dite DCQ, luttant efficacement contre l’inflam’aging, les poches et les cernes, renforce la fermeté, l’intégrité et l’épaisseur de la peau, ainsi qu’un effet whitening. Le nouvel actif rejoint Prenylium et Rootness Energize, lancés en 2020, dans la gamme Premium de Clariant.
Un autre acteur va se spécialiser dans ces démarches. C’est le cas de Jungle. Nous sommes en 2016 et la société est créée dans l’idée de produire également des plantes en hydroponie dans un environnement clos. La camomille romaine, la mélisse ou le calendula seront les premières réalisations cosmétiques. D’autres projets ont été établis sur ce modèle. Il s’agit principalement de produire de la biomasse en vue d’en extraire des molécules de premier intérêt. La société est impliqué dans une action de recherche de fond.
Pour aller un peu plus loin, d’autres projets vont voir le jour. Le principe directeur sera celui de la « Cosmétique dite fraiche ». Cette idée fait suite à une fausse polémique postulant que les produits fraichement préparés seraient plus intéressants que les produits manufacturés dans le cadre de procédures habituelles. Cette affirmation est discutable car ce concept n’est supporté par aucune étude sérieuse allant dans ce sens. Ceci d’autant plus que l’industrie a développé depuis de nombreuses décennies des techniques sophistiquées pour montrer la stabilité des préparations cosmétiques, et ce sur des périodes suffisamment longues. C’est plus simplement une approche de bon sens qui voudrait que certaines substances soient mieux conservées lorsqu’on traite les plantes fraîches que par d’autres procédés. Mais pourquoi pas, l’idée a du sens. Comme toujours, on verra fleurir des propositions de niveaux très variables pour satisfaire à cette approche.
Parmi les premières tentatives dans ce sens, même si ça ne reprend pas la totalité de l’idée de la ferme verticale mais implique des technologies proches, il y a le projet de la société Capsum, le spécialiste de la micro fluidique en cosmétique. L’idée est de réaliser très rapidement, presque en ligne, des préparations cosmétiques à partir de plantes germées obtenues dans des conditions contrôlées. Les plantes germées sont traitées et extraites immédiatement, les extraits inclus dans des « perles » grâce à la technologie de micro fluidique développée par Capsum. L’idée est séduisante.
Un autre projet décrit en 2019 et déposé à l’INPI (sous confidentialité) reprend cette idée de culture contrôlée avec traitement extemporané des végétaux après cueillette pour en extraire des actifs frais. Les produits seraient formulés et produits en ligne et l’ensemble de la procédure conduisant à la délivrance du produit n’excède pas quelques jours.
Le projet Freedge Beauty est également basé sur une idée de cosmétique fraiche. L’idée originale a été de s’appuyer sur des végétaux frais de saison. La première étape va consister en la recherche de formulation de cosmétiques 100 % naturelle présentant les caractéristiques des best-seller du marché, c’est-à-dire sensorialité et Cosméticité, sans pétrochimie, Vegan et sans huile de palme ! Cette première étape dure un an grâce à l’accueil de l’équipe dans le laboratoire d’application d’un fabricant d’ingrédient, Greentech, société dirigée par Jean Yves Berthon, un innovateur connu pour sa faculté à tenter des choses inhabituelles. Une première approche de formulation va donner des résultats mitigés. Au moment d’ajouter des actifs aux recettes pour garantir leur efficacité, de nouvelles problématiques arrivent : l’origine des actifs, des soucis techniques divers etc. Il va falloir tout recommencer. Le déclic vient un peu par sérendipité : Laurence Caisey, un des membres fondateurs de la marque, participe à un salon professionnel et découvre une start-up qui prépare des jus de fruit frais à l’aide d’une technique mécanique simple, mais originale. La machine est quasi unique, avec seulement deux fournisseurs dans le monde. La nouvelle orientation est donnée, des extraits de fruits et de légumes frais comme base de formulation. Mais tout est à refaire car lorsque les nouveaux extraits sont incorporés, les formules initialement mises au point ne sont pas du tout compatibles avec les nouveaux extraits. L’équipe persévère et après 2 000 essais de formules, des rencontres extraordinaires et des émotions fortes, le projet arrive au résultat. Nous sommes au printemps 2019 et tout est prêt. Le pressoir comme est appelé la machine d’extraction va commencer à produire. Les produits suivront. Selon la marque, Les cosmétiques frais Freedge s’invitent dans vos salles de bain.
Un autre projet utilisant des fruits et des légumes propose des produits d’un type nouveau. Il s’agit de Pulpe de vie. Pulpe de Vie propose des produits d’hygiène et de soin conçus à partir de fruits et légumes issus des invendus de producteurs du sud de la France. Écartés des circuits alimentaires car abimés ou mal calibrés, ces aliments certifiés bio constituent ainsi le cœur de l’offre de la marque française née en 2009 et présente aujourd’hui dans 2.000 points de vente sur le territoire hexagonal. La marque a vu son chiffre d’affaires passer de 1,4 million d’euros en 2020 à 2,5 millions en 2021. Les ventes en 2022 devraient atteindre 3,5 millions d’euros. L’originalité vient presque essentiellement de l’origine des végétaux que dans leur traitement qui reprend les standards courants.
Un autre projet original est Eclo. Cette fois, les ingrédients sont issus de l’agriculture régénératrice. C’est à partir de ce concept que nait Eclo, une nouvelle marque de maquillage clean. Trois ingrédients ont ainsi été choisis pour cette première gamme.
- Le chanvre de Bretagneaux vertus apaisantes et hydratantes pour les formules des ombres à paupières.
- Le seigle pour les blushs,
- Pour les rouges à lèvres, ce sont les algues de la baie de la Rance qui ont été choisies pour leurs vertus lissantes et repulpantes.
Pourquoi pas ! Le rapprochement avec l’association Agriculture Pour le Vivant a également pour objectif d’éduquer l’industrie cosmétique à l’utilisation de ce type d’ingrédients. L’agriculture régénératrice est issue de pratiques anciennes que les paysans connaissaient bien pour enrichir les sols entre 2 cultures. Tombées plus ou moins en désuétude, cette approche connaît un regain d’intérêt sous la pression de différents mouvements de la protection de l’environnement et de l’émergence des techniques de permaculture. L’agriculture régénératrice ou régénérative est caractérisée par une philosophie de la production agricole et un ensemble de techniques adaptables fortement influencés par la permaculture. Ses buts principaux sont de régénérer les sols, augmenter la biodiversité, la captation du carbone atmosphérique par le sol, la résilience des sols face aux fluctuations du climat, optimiser le cycle de l’eau et améliorer la fourniture de services écosystémiques. Le peu que l’on sache sur le traitement des ingrédients, ou les techniques de formulation des produits ne semblent pas présenté d’originalités particulières et se situent au niveau des standards habituels. Cette approche semble avoir retenu l’intérêt de certains acteurs de la filière. c’est ainsi qu’Unilever, AXA, et Tikehau Capital ont annoncé leur ambition de créer un fonds d’investissement dédié à la transition vers l’agriculture régénératrice. Les trois partenaires comptent investir 100 millions d’euros chacun. L’objectif étant d’arriver à récolter un milliard d’euros.
Dernier projet en date de 2022 : Ulé. Développé sous la forme d’un intraprenariat au sein du géant japonais Shideido, ce qui en soi constitue déjà une innovation Ce projet peut paraître assez banal puisqu’il s’agit du lancement d’une gamme de produits naturels de type clean beauty. Mais le Sourcing des ingrédients actifs suit une démarche originale. Le développement de la gamme a été mené dans une optique « éco-consciente », un concept décrit comme incluant un approvisionnement responsable, une liste de 1400 ingrédients interdits, le souci de réduire l’impact environnemental et de communiquer en toute transparence sur les produits. Ulé est selon les développeurs la première marque de soins de la peau que le groupe japonais a entièrement développée en Europe, en s’appuyant notamment sur l’expertise de nutritionnistes et de botanistes, et en open innovation avec des start-ups. Afin de réduire l’impact environnemental lié au transport, la plupart des ingrédients (84% en moyenne) ont été sourcés en France. En partenariat avec Tower Farm, une start-up spécialisée dans le développement d’un modèle d’agriculture urbaine, responsable et locale, Ulé a construit une ferme verticale près de Paris, où la marque cultive les trois plantes exotiques clés utilisées dans ses formules : le Tulsi déstressant, le Coleus protecteur et la Centella régénératrice. Un mélange a été décrit et conduit à une nouvelle appellation INCI, le Coleus Forskohlii Extract, jusqu’alors inédit en cosmétique. Les fermes verticales, de quoi s’agit-il ? Dans une ferme verticale, les cultures ne sont pas tributaires de la surface au sol, les végétaux sont cultivés sur plusieurs étages. Des bacs sont rangés en rangs serrés placés de façon superposée et poussant généralement hors-sol, dans un environnement clos et contrôlé. L’agriculture verticale produit donc des fruits et des légumes par culture hydroponique ou aéroponique, permettant de mettre plusieurs couches de cultures par étages, ainsi que des champignons comestibles ou des algues toute l’année. La notion de ferme verticale ou d’agriculture verticale regroupe divers concepts fondés sur l’idée de cultiver des quantités significatives de produits alimentaires dans des tours, parois ou structures verticales, de manière à produire plus sur une faible emprise au sol, éventuellement en ville pour répondre à des besoins de filières courtes. Certains projets sont des sortes de gratte-ciel consacrés à l’agriculture (farmscrapers en anglais). L’idée de base vient d’un concept développé en 1999 par Dickson Despommier, professeur l’université Columbia à New York. La première tour a été ouverte à Singapour en 2012. On en comptait un peu plus d’une centaine quelques années plus tard. Donc, ce n’est pas nouveau, mais ça commence à prendre une certaine consistance avec plusieurs projets autour de ce thème. Peu de fabricants en parle ouvertement, mais bon nombre d’entre eux regardent cette question avec beaucoup d’intérêt. L’exploitation de sa propre ferme, organisé sous forme de tour tournantes, permet à Ulé d’être moins dépendante du marché mondial tout en produisant localement des ingrédients botaniques frais, sans pesticides et entièrement traçables. Au moment où s’installe une pénurie sur certains ingrédients utilisés en cosmétique, ceci peut prendre un sens particulier. Toutefois certains aspects de ces approches sont également discutées. C’est le cas en particuliers des aspects énergétiques qui sont très fortement supérieurs a des approches plus classiques. Ce point est commun aux production dites « bio-based ». Côté packaging, Ulé a fait le choix d’allier verre allégé et capots biosourcés. Des enveloppes en papier ont été préférées au carton pour les emballages secondaires.
A partir d’une approche sensiblement différente, plus classique dans sa démarche bien que s’appuyant sur des travaux sérieux, la gamma Purally. Un concept original, le polluaging, et une molécule particulière, le RhamnophénolÒ, qui protège efficacement des microparticules de très petite taille (PM2,5). La marque a été créée en 2019 après avoir mis en évidence les vertus protectrices uniques de la molécule de Rhamnophénol®, une molécule naturelle brevetée extraite de la Saxifrage Ronde, plante des Alpes suisses. On est ici toutefois dans une démarche plus classique.
Enfin, ne pas confondre cosmétique fraiche et cosmétique froide. Sur ce dernier point, l’aventure de beautygloo est intéressante sur le thème : comment innover avec des choses que l’on connaît déjà !!! Bravo aux jeunes entrepreneurs.
On est donc bien un tournant significatif de certaines démarches qui révisent assez profondément les procédures habituelles, tant en ce qui concerne les ingrédients, que les formules et les modes de production, quand ce n’est pas tout en même temps. On aurait pu faire référence à bien d’autres projets dans lesquels les biotechnologies trouvent leurs applications. Ce sont globalement toutes les techniques de fermentation ou de développement qui permettent d’obtenir des ingrédients. Ce sont également toutes les variétés autour des microalgues. Il y a bien longtemps que le plancton n’est plus de Molitg-les-Bains, mais plutôt tourangeau ! !!! Et la cosmétique dite bleue est sur ce créneau. D’une certaine façon aussi, les bio alcanes, tout du moins dans les premières phases de production, sont des techniques de biotechnologie également. Mais ces techniques permettent souvent de fabriquer ou de concevoir des ingrédients plus que des concepts globaux. Ils correspondent à une autre classe, très proche, que l’on peut appeler les ingrédients « bio based ». Les exemples que nous vous présentons ici nous semblent être plus représentatifs de cette tendance nouvelle des façons de faire. Mais la discussion peut être ouverte.
Ces approches ne vont d’ailleurs pas sans poser certaines questions : conservation, stabilité, innocuité, recul etc. mais aussi de définition puisque certaines de ces cultures ne sont plus compatibles avec la notion de bio. L’aspect énergétique est une question centrale, tout comme la protection environnementale. L’approche classique avait souvent résolu ces questions de façon satisfaisante. Il faudra donc oser pour organiser le changement !
- Ces approches conduisent-elles à des produits plus performants ? Les porteurs de projet l’affirment, les preuves ne sont pas toujours au rendez-vous.
- Est-ce que ces approches vont déclasser définitivement les approches plus classiques ? Peu probable selon moi, la cosmétique qui réclame la révolution, ne l’a fait que rarement.
Mais force est de constater qu’elles intègrent de nombreuses facettes de ce que l’on décrit régulièrement comme les nouveaux modes du « faire » au sens global. On en parlait depuis longtemps, ces approches sont là. Et certaines tendent vers ce qui caractérise souvent les innovations majeures, la synthèse créative du meilleur état de l’art.
Bonne chance à tous ces projets et affaire à suivre.
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