Même si la notion de principe actif est discutable dans la mesure où presque tous les éléments constituant une formule ont une activité cosmétodynamique notable, cette notion s’est installée comme une référence constante. L’utilisation de principes actifs renvoie assez souvent à la notion de produits anti-âge, mais pas exclusivement, l’hydratation reste un gros pourvoyeur de concepts. Toutefois retracer l’histoire des produits anti-âge permet de comprendre plus spécifiquement l’évolution dans ce domaine. L’histoire des produits anti-âge tels qu’on les connaît aujourd’hui date du milieu des années 80. Ces produits vont s’installer sous l’effet d’une meilleure connaissance de la physiologie de la biologie cutané et de l’effet sociologique associé au baby-boom qui conduira à insister sur l’antiâge. L’évolution de l’offre sur les actifs va dès lors prendre un sens plus précis. Mais avant de voir quelles sont les grandes tendances actuelles, revenons sur les premiers pas.
Pour écouter cet épisode :
Après une longue période de recettes miraculeuses la pratique va au début du XXème siècle s’installer via une catégorie de produits que l’on appellera les « crèmes nourrissantes ». Il s’agira de pommades, c’est-à-dire de systèmes anhydres, ou de crèmes riches et grasses, que l’on appellera souvent « cold-cream » (il faut les conserver au froid) et qui sur la base de formules du type du Cérat de Galien.
Ce sont des émulsions de type eau dans l’huile comportant une proportion importante de phase grasse. Le rôle de ces produits était d’alimenter la peau pour compenser la sensation de peau sèche accompagnant le vieillissement cutané. Les principaux ingrédients avaient comme propriété d’être occlusifs comme les huiles minérales ou la vaseline, assouplissantes comme des alcools de lanoline à la base de l’Eucerit® indispensable à la Crème Nivea, ou encore la lanoline entière, émollientes comme les huiles végétales. Parmi les grands produits, citons la crème Nivéa, ou encore la crème Nutrix proposée en 1936 par Armand Petitjean, présentée comme une « crème de beauté nourrissante et réparatrice, dite « aliment pour la peau ». Ce concept va être remis en cause car on finit par admettre que l’on ne peut pas « alimenter » la peau de l’extérieur. Toutefois l’idée existe encore de nos jours.
Ce type de produit va ensuite évoluer vers des produits plus agréables avec des touchers moins gras et moins poisseux. Ce sera le début du règne des crèmes « stéarate » dans lesquelles l’ingrédient vedette sera souvent un glycol humectant : glycérine (on sait déjà qu’elle rend la peau douce), mais aussi des glycols techniques comme le propylène glycol.
La naissance de la notion d’actifs : Pour ce faire, l’industrie va s’appuyer sur l’évolution des connaissances. On verra apparaître parmi les premiers produits les « crèmes dites aux vitamines ». Rappelons que le début du XXe siècle marquera la découverte de cette notion de vitamines (1912) ainsi que la découverte des principales vitamines, de leur mode d’action, de leur rôle et de leur intérêt.
Presque toutes les vitamines seront utilisées avec plus ou moins de succès. Les propriétés antiâge associées aux vitamines A, E et C viendront plus tardivement (années 70).
Dans la mouvance de la découverte du rôle des estrogènes, certaines marques vont ensuite aborder la question de l’antiâge sous l’angle de la compensation de la chute d’imprégnation hormonale au moment de la ménopause. D’où l’idée de compenser la perte de production d’œstrogènes. Les premiers produits seront des produits à base « d’extraits glandulaires ». Puis, ce seront assez rapidement des substances de synthèse datant des années 30. Aux États-Unis, la réglementation permettra pendant longtemps d’utiliser des substituts hormonaux comme les œstrogènes. C’est ainsi que la marque Helena Rubinstein propose dans les années 30 un produit composé de 2 spécialités s’intitulant Hormone « Twin Youthifiers ». Cette situation va durer assez longtemps, globalement jusque dans les années 60 ou la réglementation va fortement limiter l’utilisation de ce type de substance.
En Europe, la réglementation ne permettant pas utilisation ces dérivés hormonaux, les marques vont opter pour un autre type d’extraits biologiques ce qui donnera naissance aux « crèmes dites placentaires ». La saga des extraits placentaires va débuter dans les 1930 lorsque Vladimir Filatov remarque de meilleurs résultats quand des cornées transplantées étaient maintenues au froid pendant un certain temps. Il émit alors l’hypothèse que les tissus vivants en situation de souffrance, fabriquent et libèrent des éléments destinés à maintenir les cellules en vie. Sans que l’on sache qu’elle pouvait être la nature de ces éléments, ils furent baptisés « biostimulines ». On sait maintenant que ces mystérieuses biostimulines sont des peptides très proches des facteurs de croissance. La théorie de Filatov fut alors appliquée à d’autres tissus animaux et en particulier au placenta qui, par sa fonction, était de nature à fournir des éléments bioactifs. Dans les années 1950, les extraits placentaires furent utilisés et ils devinrent très vite une spécialité lyonnaise. En effet, un laboratoire implanté à Lyon, possédait une technique d’extraction à partir de placentas d’origine humaine. Les résidus d’extraction étaient rejetés. Un pharmacien biologiste des hôpitaux eut l’idée de les valoriser en leur appliquant la théorie de Filatov. Ces extraits seront rapidement remplacés par des produits à base d’extraits placentaires animaux, principalement le liquide amniotique bovin, facilement accessible et largement disponible. Il sera à la base de nombreuses spécialités. Un peu plus tard une substance particulière fera son apparition : le placenta végétal. Mise au point par un passionné de botanique en s’appuyant sur la phytothérapie par les bourgeons, le placenta végétal puise son efficacité dans les nutriments essentiels qu’il contient.
Toujours à la recherche de solutions originales, d’autres marques vont essayer une voie différente en utilisant des extraits embryonnaires. Cette approche repose essentiellement sur les travaux d’Alexis Carrel, prix Nobel, qui avait montré la possibilité de maintenir en survie des tissus au contact d’extraits embryonnaires. Ces extraits étaient bien exclusivement d’origine animale, du poulet principalement. De nombreux ingrédients « miraculeux » seront également de la partie comme les produits de la ruche, la gelée royale, propolis ou plus simplement le miel.
Quelques solutions reposant également sur l’idée du progrès technique se feront jour. La crème Tho Radia illustre parfaitement ces tentatives. L’idée sera d’utiliser des sels radioactifs pour stimuler les tissus sains sur la base de concepts qui avaient été évoqués dans ce sens.
Le néo « antiâge » commence dans les années 70: on assistera alors à l’entrée de la biologie dans les laboratoires. Ceci se fera par l’utilisation d’ingrédients biologiques ayant comme fonction d’activer certains processus biologiques comme la vitalité cellulaire ou la respiration cellulaire que l’on commence à savoir mesurer. Naîtra à cette époque le concept d’ATP booster qui a traversé les temps pour être toujours d’actualité.
Dès lors, l’anti-âge s’intéressera à de nombreux processus biologiques. La physiologie du tissu conjonctif sera parmi les initiateurs, l’exemple du collagène natif dans les produits antiâge illustre très bien cette contribution de la compréhension des mécanismes du vieillissement. L’élastine prendra le relais. L’acide hyaluronique mettra plus de temps à s’imposer compte-tenu de sa rareté.
Petit à petit, l’utilisation d’extraits biologiques indéfinis laissera la place à des principes actifs dont les modes d’action seront de plus en plus précis et de mieux en mieux maitrisés. Le silicium organique sera un de ces actifs.
L’apport de la biologie cutanée sera durablement le fil conducteur de l’industrie. A cette époque plusieurs catégories d’actifs majeurs naitront de l’acquisition de connaissances nouvelles. On retiendra que les nouvelles spécialités complètent généralement les catalogues d’actifs plutôt que de remplacer les précédentes variétés, ce qui fait que l’industrie dispose à ce jour d’un très grand nombre de ces spécialités.
Au début des années 90 un fait majeur fera évoluer la notion d’actifs : la crise de la vache folle ou BSE. Si cet événement ne changera pas fondamentalement la façon dont les actifs sont recherchés ou mis au point, il focalisera sur l’origine des actifs. Les origines animales seront progressivement éliminées. La synthèse chimique sera une des réponses (céramides par exemple) la biosynthèse (acide hyaluronique), l’extraction à partir de biomasse et un recours de plus en plus systématique au végétal.
La situation à date :
A ce jour, il existe de très nombreux concepts à partir desquels on peut développer des principes actifs. Sans vouloir en faire un catalogue exhaustif, on trouvera dans la contribution sur le site de la Cosmétothèque des exemples précis :
Conclusion :
Il règne comme depuis longtemps une intense activité dans ce domaine. L’actualité du moment concerne principalement les retombées des recherches sur le microbiome et plus encore sur l’épigénétique qui viennent enrichir la boite à outils. Mais de nouveaux actifs se profilent. Si certains sont déjà anciens, d’autres sont issus de technologies émergentes et nous réservent de très intéressants développements. Citons aussi d’autres approches comme la lumière, les micro-courants, le froid, la stimulation mécanique de la peau.
Pour finir, parmi les faits notables de ces derniers mois, on notera également la valorisation de substances « anciennes » permettant de reconsidérer leur usage : Vitamine B3, allantoïne, glycérine, charbon végétal, bicarbonate…
Le retour à ces notions, anciennes pour certains, n’est pas uniquement motivé par le contexte réglementaire. En effet si celui-ci constitue incontestablement une préoccupation permanente, la recherche de simplicité, tant dans les formulaires que dans le storytelling renforce ce besoin. Enfin, les formidables progrès dans les modalités de test (génomique, microfluidique, DNA chips etc.) nous rappellent qu’il n’est pas toujours nécessaire de chercher très loin certaines activités. Il reste donc de beaux jours pour s’intéresser à ces questions.
Vous trouverez comme d’habitude sur le site de la Cosmétothèque les liens utiles à ce thème.
Bonne lecture, ou bonne écoute, ou les 2 !
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