La recherche de naturalité, couplée à la remise en question, souvent injustifié d’ingrédients comme les huiles minérales, silicones ou encore lanoline, ont poussé les formulateurs à s’intéresser à toute une série d’huiles végétales plus ou moins exotiques. Or ces huiles qui sont principalement des triglycérides, certes émollientes, ne se différencient pas ou peu les uns des autres que par la coupe en acides gras. Cette distribution modifie principalement la propriété émolliente, ou éventuellement la consistance. Mais c’est souvent ailleurs qu’il faut chercher l’intérêt de ces huiles végétales, en particulier dans la fraction dite insaponifiable de ces composants.
Pour écouter cet épisode :
Ce terme « insaponifiable(s) » a été attribué par le grand chimiste Chevreul au XIXème siècle et fait référence à la partie non glycéridique d’une huile végétale, autrement dit, non saponifiable. Cette fraction constitue une sorte d’empreinte caractéristique de l’huile concernée. La teneur en matières insaponifiables peut être déterminée par différentes méthodes. En fonction de la plante d’origine et du procédé d’obtention, la proportion en insaponifiables représente généralement de 0 à 2% du poids de l’huile et peut parfois monter jusqu’à 15%. En revanche, plus une huile aura subi un raffinage important et moins elle contiendra de matières insaponifiables. Enfin, il conviendra de différencier les fractions insaponifiables des huiles et beurres végétaux de celles d’autres corps gras comme les cires pour lesquelles les méthodes de détermination ne s’appliquent pas toujours.
Il s’agit d’un mélange complexe de différentes molécules dont les proportions varient en fonction de plusieurs critères. On retrouve assez généralement : · Des stérols ou phytostérols qui représentent la plus grosse proportion. Ils sont également dénommés « cholestérol végétal » du fait de leur analogie de structure. Ils agissent sur la structure et la perméabilité des membranes et permettent également, de stimuler les processus de réparation. Le stérol le plus retrouvé est le β-sitostérol. Il permet de diminuer les radicaux libres et les dommages causés à l’ADN. On retrouve également du cholestérol. Ces stérols sont intéressants car précurseurs de nombreuses vitamines et hormones, et sont dotés d’activité antiinflammatoire pour la plupart.
Des hydrocarbures saturés ou insaturés, notamment des isobutènes comme le squalène qui est le précurseur des alcools triterpéniques et des stérols. Cette fraction est valorisé dans la production de certains bioalcanes.
Des pigments comme des caroténoïdes. Ces composés possèdent des propriétés antioxydantes. Le β-carotène est le plus retrouvé et c’est le précurseur des rétinols à l’origine de la vitamine A qui participe au maintien de l’élasticité de la peau. On retrouve également ses isomères α et γ, le lycopène ou le phytoène. On peut notifier parmi les xantophylles : la zéaxanthine (présente dans l’huile de maïs) et la lutéine. Ces deux composés sont présents dans la rétine et le cristallin pour les protéger en filtrant les rayons ultraviolets. Toutefois, aucune étude n’a prouvé l’effet au niveau cutané.
Des alcools gras qui peuvent exister au sein de l’huile végétale ou être libérés après saponification.
Des alcools triterpéniques pentacycliques ou tétracycliques (dont les 4-méthylstérols) dont la composition qualitative est un moyen pour caractériser l’origine botanique de l’huile pour son genre et sa famille. Substances d’origine organique en C30, sont très répandu dans la nature et on les trouve notamment dans les résines. Ils résultent de la condensation de plusieurs molécules d’isoprènes.
Des dérivés du tocol parmi lesquels on trouve les tocophérols à chaîne carbonée saturée et les tocotriénols à chaîne insaturée. Ces dérivés sont importants puisqu’ils permettent de lutter contre l’oxydation notamment grâce à la vitamine E et ses dérivés issus de l’α-tocophérol. Ils agissent comme des agents scavenger des radicaux peroxyle.
Dans certaines fractions d’insaponifiables comme par exemple celle du beurre de karité, on peut également trouver des concentrations assez importantes d’esters cinnamiques, leur conférant des propriétés spécifiques. Le tableau suivant indique les concentrations en insaponifiables de quelques huiles végétales.
Toutes les huiles et beurres végétaux ne peuvent pas être candidats à la production d’insaponifiables, certaines n’en possèdent pas ou trop peu. Aujourd’hui, seules quelques variétés ont été exploitées à ce jour. ·
- L’insaponifiable d’avocat : Sa composition varie mais il contient principalement des tocophérols ce qui confère à l’huile d’avocat sa stabilité, des alcools terpéniques et aliphatiques, des stérols et hydrocarbures.
- L’insaponifiable de soja : Sa composition se divise en : stérols (30 à 45%), hydrocarbures (15 à 30%) et des tocophérols.
- Insaponifiable d’huile d’olive. Bien que moindre que celle du beurre de karité, l’insaponifiable d’huile d’olive représente une fraction non négligeable : environ 0,5 à 2%. Celle-ci est majoritairement constituée d’hydrocarbures dont le squalène (environ 80%), additionné des substances classiquement retrouvées : des alcools triterpéniques, des phytostérols et des tocophérols. On trouve également un peu de caroténoïdes. Le squalène est un composant majeur du sébum humain et un précurseur du cholestérol. L’insaponifiable d’huile d’olive peut donc influencer sur le sébum cutané. [2] Des études ont également montré que cet insaponifiable est très bien toléré et non comédogène. Quelques autres insaponifiables et leurs activités :
- Insaponifiables de l’huile de pépins de tomate : ils contiennent beaucoup de tocophérols et de stérols, lui conférant une activité antioxydante.
- Insaponifiables de l’huile de sésame : composition également riche en tocophérols et stérols, sesaline et sesamoline avec une activité antioxydante.
- Les insaponifiables d’huile de tournesol, huile de luzerne, huile de maracuja etc.
Utilisation des insaponifiables
L’utilisation des insaponifiables repose principalement sur les travaux de Henri Thiers, un dermatologue lyonnais qui avait montré dans les années 50 leur intérêt sur la sclérodermie et des complications inflammatoires. Au niveau de l’histoire, le premier insaponifiable fut commercialisé par le laboratoire Laroche Navarron. Il est à l’origine d’un développement remarquable, le Madecassol®, mais dans des applications pharmaceutiques. Cette proposition sera suivie par les laboratoires Expanscience avec une association d’insaponifiables d’avocat et de soja. Les Laboratoires Expanscience en rachètant les brevets en 1957 vont développer des produits destinés à la prise en charge de la sclérodermie, ou encore de pathologies s’intéressant à des altérations du collagène, mais aussi à des problèmes liés à l’arthrose grâce aux propriétés anti-inflammatoires de ces extraits. Cette démarche donnera naissance à un médicament, Piascledine 300®, qui associe les insaponifiables d’avocat (1/3) et de soja (2/3). Cette association, aussi nommée ASU pour « Avocado and Soybean Unsaponifiable ». Un brevet a été déposé pour l’ASU pour son rôle préventif contre l’apoptose, l’inhibition du vieillissement cellulaire et la protection de la peau contre les facteurs environnementaux négatifs et polluants. Ces effets s’expliquent par la capacité de l’ASU à stimuler le métabolisme énergétique cellulaire en favorisant la synthèse d’ATP. Administrés par voie topique, ils permettent de maintenir l’élasticité cutanée tout en augmentant le collagène. Dans les années 60, des études ont montré que l’association d’insaponifiables d’huile d’avocat et de soja permettait de diminuer la sclérodermie, c’est-à-dire limiter l’épaississement et la dureté du tissu cutané, grâce à leurs propriétés assouplissantes. Dans des études ultérieures, une hausse des glycosaminoglycanes et de la synthèse de collagène avec une réduction de médiateurs pro-inflammatoires (IL-1β, TNF-α, COX-2) a également été reportée, ainsi qu’une augmentation des lipides clés de l’épiderme par application d’une lotion à 2% d’un extrait issu du tournesol. Ces problèmes étant fortement associés au collagène, constituant majeur de la peau dont l’étude et la compréhension dans les phénomènes pathologiques mais également l’importance dans le vieillissement étaient en plein développement dans les années 70, leur utilisation pour des produits cosmétiques s’est alors imposé rapidement. Ce sera le point de départ de l’intérêt et de l’utilisation de ce groupe de substances en cosmétique. Cette association sera utilisé dans de nombreuses spécialités, dans certaines associées à des substances ayant elles-mêmes une action d’ATP booster.
Puis comme toujours, l’intérêt pour ces substances va diminuer, pratiquement jusqu’à disparaître au profit de chose plus ‘bank-able’. L’intérêt revient petit à petit avec le regain d’intérêt de substances issues du naturel, mais également avec la tendance de l’upcycling. En effet, les différentes étapes d’obtention de certains dérivés végétaux comme les huiles alimentaires, produisent des biomasses sous forme par exemple de tourteaux qu’il est possible de traiter pour en extraire des substances intéressantes. C’est ainsi que plusieurs spécialités nouvelles ont été proposées, intégrant dans leur procédé d’obtention des phases de concentration de fraction insaponifiable. Ceci renforce de façon indéniable l’intérêt des huiles végétales qui peuvent comme cela passer du stade de simple lubrifiant à celui de substances dotées d’activité très intéressantes.
Bonne écoute, ou bonne lecture, ou les deux.
Laisser un commentaire