Cette question est centrale dans le monde de la beauté aussi bien avec les produits de soin que les produits de maquillage. C’est assez probablement une des plus anciennes pratiques de beauté. Et pourtant, bien peu de gens s’y intéresse ou s’y sont intéressé ! Retour sur ces questions.
Dans les temps passés, le rouge permettait de mettre en valeur le blanc du teint et véhicule depuis toujours une image positive de bonne santé. Il y a de multiples façons de redonner du rose aux joues. Le blush est la plus ancienne façon de réaliser ce geste ancestral. Il a été réalisé de multiples façons avec des produits gras ou secs d’origine à base de fleur d’orcanette ou de coquelicot, de minium et de cinabre, des sels de plomb pi de mercure toxiques, ou via des blush plus récents qui ont oubliés les substances toxiques et dans lesquels les marques essaient de mettre tout leur savoir-faire. Les blush liquides ont été un moment à la mode, principalement aux États unis. Mais aussi sous forme d’eau, la fameuse eau de rose, d’huile essentielle de rose, d’un superbe bouquet de roses qui fait monter le rose aux joues ou encore de produit plus près de nous comme l’eau de Caudalie, l’eau de Roses de Sanoflore, le Baume de By Terry. Presque tous les gourous de la beauté ont utilisé ce thème. Il y a même des interprétations plus osées comme le décrit Marie Laure Dagoit dans son ouvrage « Le Rose aux Joues »(Le rose aux joues – Marie Laure Dagoit – Edition Le cercle – Septembre 2001)
Mais dans le monde de la beauté, du point de vue du biologiste, le rose aux joues est synonyme de quelque chose de plus précis et de mieux défini. Il s’agit de la microcirculation cutanée c’est à dire de la vascularisation de la peau. Dans celle-ci, le derme et l’hypoderme sont richement vascularisés par un réseau sanguin très structuré d’artérioles de moyen puis de petit calibre, ensuite de veinules et de capillaires. A l’inverse, l’épiderme, comme tout épithélium, n’est pas vascularisé ; il est nourri par imbibition à partir des réseaux capillaires des papilles dermiques. De même, le système lymphatique est présent dans le derme et l’hypoderme et absent de l’épiderme.
C’est ainsi que directement sous l’épiderme, a quelques dizaines de millimètres, cheminent sous la peau plusieurs dizaines de kilomètres de tuyaux directement impliqués dans le bon fonctionnement de la peau.
Un système complexe de vaisseaux sanguins s’organise finissant par s’anastomoser en un troisième réseau situé à la jonction derme papillaire-derme réticulaire. De ce dernier réseau, partent des capillaires qui gagnent les papilles dermiques. Ces pelotes de capillaires sont logées dans les microvillosités de la JDE (Jonction Dermo Épidermique). La lumière pénétrant jusqu’à ce niveau génère la composante rose de la couleur de la peau.
Ces capillaires jouent un rôle dans la thermorégulation en permettant l’augmentation du débit sanguin cutané donc l’accroissement de la déperdition de calories au niveau de la surface cutanée. La microcirculation cutanée remplit quatre fonctions majeures :
- La nutrition des cellules, du derme, de l’hypoderme, de l’épiderme et des annexes cutanées,
- Le maintien de la pression artérielle par un tonus vasoconstricteur,
- La tolérance par la peau des longues périodes d’ischémies dues au poids du corps,
- Une réactivité vasomotrice nécessaire à la thermorégulation.

Mais sur le plan esthétique, son rôle est principalement de constituer la composante rose de la peau saine. Cette organisation subit des modifications en particulier en fonction de l’âge. Toute modification de la microcirculation périphérique, conduit à des modifications de la couleur de la peau. C’est ainsi que l’aplatissement de la JDE accompagnant le vieillissement et se traduisant par la disparition des microvillosités et donc des capillaires, conduit à la perte de la composante rouge de la couleur de la peau. La vasoconstriction en fait de même comme dans la peur ou le tabagisme. L’effet de flush des peaux sensibles est à associer à la stimulation du flux sanguin quand la dilatation conduit à des marques comme les télangiectasies. De ce fait, la fonction micro circulatoire constitue donc une cible cosmétique parfaitement légitime, agir à ce niveau consiste donc à modifier l’aspect de la peau, comme le précise la définition du produit cosmétique dans les textes réglementaires. Nous sommes bien au cœur de la définition du cosmétique. Assez curieusement le rôle de la fonction microcirculatoire a été assez longtemps sous-estimé comme cible biologique dans la cosmétique dite moderne. A l’exception de ce que l’on appelle communément la couperose, devenu sous la contrariante réglementaire « rougeurs diffuses », qui est une plainte cosmétique reconnue. De nombreux produits ont été orienté sur ce positionnement. Ces produits avaient comme caractéristiques d’être presque tous « verts », la couleur complémentaire du rouge, et de contenir à défaut du presque incontournable dérivé de marrons d’inde, des extraits végétaux titrés en substances supposées renforcer la paroi des vaisseaux comme les vitamines du groupe B ou encore de polyphénols qui ne s’appelaient pas encore comme cela. L’Esculoside, la rutine et autres flavonoïdes, comme ce que l’on appelait la vitamine P, étaient également des candidats potentiels.
Les marques plus anciennes, en particulier américaines, avaient cependant intégré cette dimension dans de nombreuses propositions constituant des gammes complètes dans les années 20/30. Ces produits étaient appelés « crème stimulante » mais aussi les crèmes « Circulation » ou « Blood Glow », dénommées ainsi en raison de leur effet sur la circulation. La plupart des experts en beauté dans les années 1930 pensaient qu’une bonne circulation était l’un des fondements d’une belle peau. A cette époque certains pensaient même que la beauté de la peau et sa fraîcheur dépendent des apports de sang frais remontés à la surface. Du coup certains spécialistes soutenaient qu’il faut produire, par massage et stimulation, une chaleur suffisante pour assurer l’élimination des toxines de la peau, ainsi que maintenir un apport complet d’agents vitalisants nécessaires à l’alimentation de la peau et des cellules. Les muscles n’étaient pas étrangers à cette logique. En atteste cette publicité de Dorothy Gray de 1936 : La pommade de circulation élimine les poisons, stimule et rajeunit les peaux paresseuses et jaunies. Apporte la couleur naturelle aux joues. Ces produits incluaient souvent dans leur formulation un ou plusieurs irritants cutanés – tels que le baume du Pérou, la cinnamine (l’huile claire du baume du Pérou), le benzaldéhyde et/ou la capsaïcine, ou encore des extraits de piments. C’est ainsi que Barbara Gould, une marque américaine qui deviendra franco-américaine, proposait dans sa gamme initiale un fluide et une crème activant la microcirculation à base d’extrait de piment. Cette crème Barbara Gould « faisait jaillir le sang chaud et rajeunissant à un rythme pulsé à la surface du teint ».
Voici un exemple de formule selon Müller, 1916, p. 125 rapporté par James Bennett.
Essence de cannelle | 10 gouttes |
Baume du Pérou | 30 gouttes |
Essence d’eucalyptus | 20 gouttes |
Pommade Styrax | 1 gramme |
Huile de vaseline | 25 grammes |
Carbonate de calcium | 12 grammes |
Dans un autre exemple de 1933, Elizabeth Arden propose sa routine « bonne mine » dite « Venetian » comportant plusieurs produits dont le « Venetian anti-dark spot ointment », ainsi qu’une huile musculaire. On notera qu’il était recommandé d’éliminer le produit lorsque l’on ressentait une sensation de chaud.
Les crèmes de « circulation et similaires » ont en grande partie disparu des comptoirs cosmétiques généraux dans les années 1940. Dans le même ordre d’idée, la mise au point de certaines techniques de massage reposera sur cette idée d’améliorer la qualité du teint par une action sur la microcirculation. De ce fait de nombreuses huiles de massage revendiqueront cette fonction, dont la fameuse huile de Ganesh. L’amélioration de la qualité du teint par massages reste de nos jours une revendication courante.
Mais la dimension couleur de la peau comme marqueur du vieillissement n’apparaitra que plus tardivement. Cette notion est venue des observations concernant la JDE dès lors que les modifications de sa structure seront clarifiées. En effet, l’aplatissement de la JDE et la quasi-disparition des microvillosités du derme papillaire seront regardées comme une des causes importantes du vieillissement cutané, sans pour autant que l’on ne sache très bien si c’est la cause ou la conséquence du vieillissement.
Dès lors, des actifs spécifiquement présentés vers la protection, voir la reconstruction de la JDE seront proposés, mais sans pour autant s’intéresser nécessairement aux conséquences sur la couleur. Vis-à-vis de la microcirculation périphérique, on a l’impression que tout s’est passé comme si un blocage s’était organisé autour de cette revendication. En effet, au moment où les marques travaillaient autour de ces concepts, le rôle et l’importance de l’angiogenèse dans le développement du cancer fera l’actualité. Il était devenu suspect de favoriser la croissance de micro-vaisseaux. Par ailleurs, le contexte réglementaire n’était pas clair. Est-ce cela qui va retarder que l’industrie cosmétique s’intéresse à ce mode d’action ?
Toutefois des produits vont essayer de travailler sur ce thème. On peut citer par exemple un produit proposé par Chanel beauté. Il s’agit de Prévention active, Sérum de correction.
Née dans la mouvance des mono produits de type Lift sérum à la fin des années 80, le concept de base était basé sur une des premières études portant sur l’évolution de la couleur de la peau en fonction de l’âge. Il s’agissait de la couleur globale de la peau, à ne pas confondre avec l’apparition de taches pigmentaires qui sera une autre façon d’aborder le lien entre couleur de la peau et âge. Cette étude mettait en évidence le brunissement et la perte de luminosité de la peau vieillissante, entre autres avec un abaissement significatif de la composante rouge et une diminution de la luminance. Le concept de ce produit reposait sur l’idée d’utiliser de nouveaux principes actifs, des extraits de sarrasin titrés en polyphénols pour corriger cette situation par le recours à une double action, antioxydante et surtout une action veinotonique et antiélastasique, chacune étant généré par l’extrait de feuilles de sarrasin fraichement extraites. Parmi les preuves de concept, un test d’amélioration de la microcirculation périphérique à l’aide d’une technique originale, la capillaroscopie péri-unguéale, menée en collaboration avec une équipe académique à l’Hôpital Thonon de Paris, avait permis de démontrer l’effet. Il est en effet parfaitement possible de visualiser et de quantifier la microcirculation dans les capillaires dans la zone de la matrice de l’ongle.
Ce produit ne rencontrera qu’un succès limité et la revendication autour de la couleur de la peau fera long feu. Un autre produit revendiquera une amélioration de la qualité de la couleur de la peau. Il s’agit de Midnight Secret proposé par la marque Guerlain. Ce produit destiné à corriger les signes de quelques nuits blanches a entre autre comme mode d’action une stimulation de la microcirculation périphérique.
Pendant une courte période dans le courant des années 90, une mode proposera des spécialités un peu particulières : reprenant l’idée de la crème chauffante, il s’agira de stimuler la microcirculation jusqu’à provoquer un léger érythème sur la zone d’application. Le but de la manœuvre sera autant d’améliorer l’activité de ces produits que de délimiter la zone d’application. Ceci concernera essentiellement des produits corporels dont la principale revendication sera la lutte contre la peau d’orange ou la cellulite. Le principe repose sur l’idée d’utiliser des produits rubéfiants et irritants, très souvent des esters de l’acide nicotinique.
Un exemple de formulation.
Water (Aqua), Mineral Oil (Paraffinum Liquidum), Glyceryl Stearate, Stearic Acid, Propylene Glycol, Beeswax (Cera Alba), Caffein, Triethanolamine, Fragrance, Methyl Nicotinate, Birch Bark Extract (Betula Alba), Phenoxyethanol, Ivy Extract (Hedera Helix), Bladderwrack Extract (Fucus Vesilosus), Methylparaben, Ethyparaben, Butylparaben, Hydroxycitronellal, Coumarine, Geraniol, Citronellol, Aldehyde Alpha Hexylcinnamique.
Ces produits sont devenus assez confidentiels ou font maintenant partie de l’arsenal des produits au service des sportifs. https://urgo.fr/urgo-creme-chauffante/
Dans la première décennie du troisième millénaire, certains vont de nouveau s’intéresser à cette question. Plusieurs publications traiteront de ce sujet, mais ne seront pas pour autant associés à des propositions commerciales, sauf pour certaines marques japonaises comme Kanebo. Du coté des actifs, peu seront positionnés sur ce mode d’action, ou avec des revendications minimalistes. La fin de la première décennie des années 2000 verra une autre idée tournant autour du rose se faire jour. Il s’agit des crèmes roses. Proposé initialement par la distribution sélective, petit à petit les linéaires vont être rempli de produits ayant cette couleur, proposant une correction de la couleur de la peau vers le rose.
Ces produits, souvent formulés comme des BB cream, ne seront en fait que des produits agissant sur la couleur directe de la peau par un effet de couvrance. Toutefois ces produits vont rencontrer un réel succès. Ils rentrent dans la composition de nombreuses gammes.
Enfin, il y a une vingtaine d’année une hypothèse reposant sur la composante microcirculatoire de la peau sera élaboré par le CERIES ( Centre de recherche affilié à Chanel) dans un travail de définition des typologies cutanées. Les moyens d’investigation insuffisants de l’époque ne permettront pas poursuivre sur cette voie. Mais voilà actuellement que la question revient avec une série de travaux publiés récemment, en particulier par des marques asiatiques, sur le rôle et l’importance de la composante rose dans la couleur de la peau. Pour aller dans ce sens, Shiseido a créé il y a une vingtaine d’années une structure dédiée, la Lifeblood qui avec le Cutaneous Biology Research Center (CBRC), fruit d’une collaboration avec la Faculté de médecine de Harvard de l’Hôpital du Massachussetts va porter un intérêt tout particulier pour les capillaires qui se logent dans le derme supérieur, à la frontière avec l’épiderme qu’ils irriguent en continu. Plusieurs avancées basées sur de nombreuses découvertes, tant sur le plan mécanistique qu’autour de substances pouvant interférer dans ces processus émailleront cette démarche. Le rôle d’un acteur important, les facteurs de croissance de type VEGF (vascular endothelium growth factor) va permettre une meilleure compréhension de tout cela et conduire immanquablement à de nouveaux produits, en particulier autour de produits s’intéressant à l’âge. Le magazine Industrie Cosmétique vous raconte très bien tout ça en suivant ce lien. Vous pouvez également en savoir plus sur ces recherches en consultant ce site : https://lifeblood-research.shiseido.com/.
Les équipes Shiseido avaient déjà publié des travaux dans sens, identifiant des cibles biologiques intéressantes comme le système APJ, connu également sous le nom d’Apelin, ou encore VE-cadhérine. D’autres travaux avaient également permis d’identifier des substances susceptibles d’agir sur ces systèmes, par exemple des extraits végétaux comme le neem (Houttuynia cordata). Un produit commercial proposant une action dans ce sens a également été proposé : Ultimune Power Infusing Concentrate.
Pour compléter le tout, la marque propose également un système de diagnostic s’intitulant « Skin visualizer device » qui revendique de mesurer globalement l‘état cutané de la personne. En intégrant la microcirculation périphérique.
Voilà pour cette pour fascinante saga autour d’un thème connu de tous et depuis longtemps, mais qui ne trouve qu’aujourd’hui un épilogue très positif. Ce type de recherche, assez spécifique aux marques asiatiques, japonaises entre autres, montre à quel point il y a encore des domaines importants à investiguer. Elles permettent également selon moi de maintenir un niveau de compréhension optimum sur des questions qui trop souvent sont traitées dans le cadre des « indies brand » de façon assez « superficielle », pour ne pas dire plus. Une des questions sera de savoir qui de ce type de recherche ou des revendications fugaces prendra le pas, les 2 étant incompatibles. Ceci permet également de se poser la question de savoir si nos anciens n’avait pas plus d’un tour dans leur sac, ces questions ayant été abordé spécifiquement avant d’être abandonnées ultérieurement. Le passé est souvent à considérer avec intérêt.
Alors, connaissance ou butinage sur des questions essentielles ? A vous de jouer.
Bonne lecture.
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