Dans un récent article, on nous vante l’intérêt qu’un ingrédient particulier présente par rapport à ses propriétés : l’isododécane.
L’isododécane est une isoparraffine de faible poids moléculaire (170) et qui par voie de conséquence présente la caractéristique d’être volatile ou tout du moins de présenter une certaine volatilité (point éclair 43°). C’est ce que l’on appelle un peu improprement une huile volatile. Cet ingrédient doit à cette propriété son utilisation dans des produits cosmétiques. Il est régulièrement présenté comme l’ingrédient de base du maquillage dit waterproof, c’est à dire résistant à l’eau, aux larmes et aux bains. D’autres produits comme les solaires revendiquent régulièrement cette propriété. Mais cette allégation est fausse. Si l’on note souvent son utilisation dans des produits présentant ce type de revendications, cet effet ne lui est pas du, enfin pas directement. Le processus est sensiblement différent. L’effet waterproof est obtenu
- Soit par l’utilisation de colorants teintant la peau en profondeur, ce qui fait que l’effet obtenu résiste à l’eau. C’est le cas des décalcomanies ou de certains produits de maquillage semi-permanents.
- Soit par la formation à la surface de la peau ou du phanère (poils, cils, ongles etc.) d’un film de substances insolubles à l’eau qui résisteront à l’élimination par ladite eau. C’est la majorité des produits waterproof.
C’est dans cette dernière utilisation que l’isododécane trouve sa raison d’être. Pour que le film soit suffisamment résistant, il doit être « continu » c’est à dire ne pas présenter d’altérations de surface ou le moins possible. Ceci est obtenu par l’utilisation de substances dites filmogènes qui sont dissoutes dans un solvant. Ce solvant en s’évaporant graduellement forme un film continu qui devient résistant à l’eau. Donc les substances qui concourent à cet effet sont celles qui restent et pas celles qui s’évaporent !!! or l’isododécane s’évapore. Ce n’est donc pas lui qui forme l’effet filmogène, il est le solvant, mais il y contribue tout au plus. Vous me direz : quelle importance ? C’est juste que quand on veut être didactique et informer, il convient de mettre les choses dans le bon ordre.
Il se fait que l’isododécane est au centre d’un intérêt particulier ces derniers temps. Constituant naturel du pétrole, ce produit (le 2 méthyl undécane) est obtenu classiquement par distillation à partir de fractions de pétrole. Ce n’est pas très valorisant convenons-en. Si on ajoute à cela que le pétrole, bien que parfaitement naturel, est devenu un poison aux yeux de tout le monde, on a dressé le tableau. Il devenait donc urgent de trouver une substitution. C’est ce qui a été fait dans le cadre de procédures très actuelles que l’on peut classer dans l’Up-cycling. Plusieurs programmes se sont lancés dans cette aventure qui est produire des hydrocarbures par des voies alternatives en partant bien souvent de résidus végétaux issus d’autres activités. L’isododécane fait partie de cette série. Assez récemment, une société française, Global Bioenergies, est parvenu à obtenir de l’isododécane sans pétrochimie, grâce à la biotechnologie et à partir de ressources naturelles renouvelables (cellulose obtenue à partir de sucre de betterave, maïs, blé, déchets agricoles et forestiers). Le procédé repose sur des bactéries sélectionnées et modifiées de façon à leur apprendre à produire de l’isobutène par fermentation. L’isobutène est ensuite combiné pour former de l’isododécane 100 % d’origine naturelle.
La société à l’origine de ce développement a même été jusqu’à la création d’une marque de cosmétique, LAST, utilisant massivement cet ingrédient : on n’est jamais si bien servis que par soi-même.
On retrouve ce procédé vertueux dans pas mal d’autres développements visant l’industrie cosmétique, comme ce que l’on appelle maintenant les bioalkanes ou encore des substances comme le squalane dit végétal. Vous trouverez de nombreuses informations dans les pages de la Cosmétothèque traitant de ces questions. Ces ingrédients n’ont gardé du naturel qu’un lointain souvenir et leurs utilisateurs n’en connaissent souvent pas grand-chose. Dans presque tous les cas, on nous décrit ces démarches comme étant volontaristes, ayant à l’origine la volonté délibérée de produire des substances plus vertes pour des usages plus vertueux. On ne doit pas douter de cette bonne volonté, elle est régulièrement décrite et mise en avant comme étant l’une des tendances incontournables. Elle reflète la volonté des sociétés concernées de faire progresser les choses. Ça ne serait ni grave ni important si quelques-uns ne s’amusaient pas à essayer de faire croire que c’est mieux qu’avant et parfaitement sans problème. Or ces procédés, qui sont souvent lourds et très énergivores, plusieurs tonnes de sucre pour peu d’ingrédient, nécessitent par ailleurs des investissements colossaux. Est-ce vraiment l’industrie cosmétique qui en est l’inspirateur ? Il se trouve qu’un secteur pesant d’un poids autrement plus conséquent que l’industrie cosmétique peut fournir une légitimité dans une quête un peu différente : les biocarburants. Le responsable de Global Énergies évoque bien d’ailleurs dans les pages de l’actualité économique, qu’à défaut de pouvoir fournir l’aviation, il se recentre sur des applications permettant un coût plus élevé, la cosmétique, en attendant que les coûts deviennent économiquement concurrentiels !!!!
Alors, réelle volonté d’une industrie qui se veut de plus en plus « responsable » ou effet d’opportunité en utilisant par un procédé bien connu, le transfert de technologie, d’être en ligne avec les tendances ? Très compliqué de savoir.
Mais dans tous les cas de remarquables effets d’innovation où la frontière entre chimie et naturel est beaucoup plus subtile que certains voudraient nous le faire croire. Et dans lesquels également la créativité des chimistes et l’apport des techniques à la fois de la chimie et de la biotechnologie se combinent pour faire avancer les choses.
Donc plus que jamais cessons d’opposer la chimie et le naturel, ils sont incroyablement imbriqués et permettent d’envisager des lendemains du coup plus responsables !
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