Jeune formulateur débutant, mes premiers essais de formulation d’émulsion étaient pour moi très frustrant car je n’y comprenais pas grand-chose. La frustration venait à la fois de la difficulté de l’exercice, ce n’est pas chose simple que de faire une émulsion, mais aussi du fait que nous utilisions assez souvent des ingrédients dont on ne savait pas exactement ce qu’ils étaient. Ils avaient pratiquement disparus, ils reviennent !
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Le point positif venait de la magie de la transformation. En effet, lorsqu’on mélange la phase grasse avec la phase aqueuse, quel que soit l’ordre, la transformation physique à laquelle on assiste est toujours fascinante. Je ne comprends d’ailleurs toujours pas pourquoi certaines pratiques dites modernes font qu’on ne regarde même plus la formation de l’émulsion. Quant au bruit assourdissant des mixers et autres turbines desquelles on attend qu’elles corrigent les erreurs de formulation que l’on a fait, on pourrait en discuter longtemps.
Mais revenons à nos émulsions.
Les théories permettant de comprendre et de choisir qui les huiles, qui les émulsionnants n’en étaient qu’à leur début, et de HLB en IOB, on bricolait comme on pouvait. Alors, il y avait le recours a quelques ingrédients miracles que les anciens formulateurs recommandaient : les bases émulsionnantes ou plus précisément les bases auto-émulsifiables. Ces préparations avaient comme objectifs de choisir plus simplement des émulsionnants « équilibrés » dans leurs caractéristiques émulsionnantes. Composées généralement d’un ou plusieurs tensioactifs et d’agents de consistance, elles permettaient comme nous l’explique un vieux manuel de formulation, la préparation des émulsions d’une façon très simple. Il suffisait en effet de mélanger toutes les matières premières dans le même récipient et de chauffer la masse au bain-marie jusqu’à fusion complète. L’agitation doit être continuer jusqu’à refroidissement complet. Elles avaient même leurs lettres de noblesse avec la fameuse Eucerit, ingrédient clé de la crème pour la petite boite bleue.
Ces ingrédients étaient dénommés auto-émulsionnants, ou émulsionnants complexes. Alors les Tegin, Protegin ou Protegin X, Bases d’absorption diverses, stéarates de glycol AE, Arlacel et Simulsol composés, Cires de Lanette, Cire de lanol, Tensactol, Emulgade, Monostearine, Tegacid et Teginacid, etc. constituaient une part non négligeable de la boite à outils du formulateur. Ces formulateurs était souvent très expérimentés, exploitant des connaissances souvent basées autant sur l’expérience que sur une connaissance intime des phénomènes physico-chimiques qu’ils mettaient en œuvre. Nous les jeunes chimistes, ça ne nous allait pas parce que c’était des mélanges quelquefois mal définis qui étaient utilisés un peu en tâtonnant. Mais ça marchait ! Outre que notre curiosité « techniques » était frustré, les inconvénients étaient non négligeables : ils venaient du fait que les proportions entre les différents ingrédients sont fixes. Par ailleurs, ces spécialités sous souvent réalisées sur la base de corps gras donnant de la consistance. De ce fait la viscosité est plus difficile à ajuster, mais ceci ne vaut que pour les produits liquides à semi solides.
Ces inconvénients, associés à une formation de base de plus en plus solide des formulateurs qui faisait en sorte que le besoin de compréhension soit devenu plus exigeant, a conduit progressivement les formulateurs vers des substances différentes dont ils avaient l’impression de mieux comprendre les mécanismes sous-jacents. Ce sont les tensioactifs « purs » comme les esters de sorbitan, dérivés polyoxyéthylénés, alcool gras POE, copolymères POE/POP etc. Petit à petit, grâce à la montée en régime de substances mieux définies et surtout dont la fonctionnalité nous paraissait meilleure, bon nombre de ces bases sont devenues des exceptions, alors qu’elles ont été longtemps des commodités.
Toutefois, après une longue période, on a vu réapparaître ces dernières années des spécialités de ce genre. Ce sont en fait des sortes de prémixes qui permettent l’obtention facile et rapide de produits. Ce qui est parfaitement dans l’air du temps puisque plus personne n’a le temps de faire les choses correctement. Par ailleurs, ces produits sont travaillés spécifiquement dans le sens de conférer aux formules une sensorialité avancée, ce qui était moins demandé avant, et certaines de ces nouvelles spécialités donnent d’ailleurs des résultats très intéressants. Enfin, dans certains cas particuliers comme la formulation de produits de protection solaire contenant de fortes doses de filtres huileux ou de pigments trouvent une approche assez satisfaisante.
Donc bienvenue aux néo bases auto-émulsionnantes de type Emulium, Symeffect et autres spécialités réalisées à partir de mélange de plusieurs substances comprenant généralement un ou plusieurs tensio-actifs, généralement sur base de polyglycérol, des agents de consistances comme des cires et des produits principalement émollients . Ces spécialités sont d’ailleurs quelquefois décrites sous le terme : self emulsifying waxes.
Un exemple récent : Emulium Illustro
Comme quoi, les choses n’avancent pas toujours de façon linéaire, et le progrès fait quelques fois des boucles arrière pour reprendre des choses qui avait disparues et les refaire. Et quelquefois, voir même les refaire souvent en mieux. C’est le cas cette fois. Naturels ? partant du principe que la glycérine est naturelle ainsi que les acides gras qui permettent de faire les tensioactifs, on fait l’impasse sur la chimie qui permet d’associer tout cela, mais bon. Et donc pas plus clean qu’avant, mais qui en tient compte puisqu’ils sont tout aussi fonctionnels.
Merci à la chimie de formulation.
Bonne lecture, ou bonne écoute, ou les 2 !
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