Nous avons discuté dans une contribution précédente de la notion de crème. Pour ce faire, j’avais repris la définition donnée par René Cerbelaud dans un de ses ouvrages et que je me permets de rappeler : Le terme crème dérive du nom latin « cremor » qui était employé pour désigner la matière blanc-jaunâtre qui se forme à la surface du lait au repos.
Pour écouter
Mais il est bien évident que des préparations du type de ce que l’on appelle maintenant crème existaient depuis très longtemps. Des spécimens de ces produits ont régulièrement été trouvés dans différentes régions et de différentes natures. Tout ceci relève de l’art de la formulation. Celle-ci se définie comme suit « La formulation est une préparation résultant d’un mélange de différentes matières premières, afin de répondre à une demande exprimée, en général, en termes de propriétés. » Les exemples de formulation sont nombreux et bien souvent les différences essentielles portent sur la présence d’eau. Un thème récurrent : le blanchiment de la peau.
Un exemple de formulation que vous trouverez facilement : Prenez 2 poignées de fleurs de Rose et de fèves, une livre de vinaigre blanc, une livre d’urine d’une jeune personne ne buvant que du vin, une demi-livre de suc de plantain, un demi-once de mastic, de borax, de gomme adragante et faire infuser 3 jours puis distillez au bain bouillant. Utiliser ce soir et matin sur les dartres où se laver le visage une fois par semaine. Agnès Sorel quant à elle propose pour avoir un teint éclatant, d’utiliser une crème spéciale dont la recette est une mixture de bave d’escargot, de cervelle de sanglier, de fiente de chèvre, mélangée à des vers de terre, le tout minutieusement broyé au mortier. À cela s’ajoutent quelques pétales d’œillets rouges. » (Marc Lefrançois, Histoires insolites des Rois et Reines de France, City Edition, 2013, p. 32)
Vous pouvez avoir accès à quelques autres recettes en suivant ce lien.
Mais quelques-autres sont encore plus anciennes.
Dans une publication déjà un peu ancienne on nous relate comment une équipe de l’Université de Bristol a reconstitué le contenu d’un pot de crème découvert lors de fouilles dans la région de Londres, le Southwark. L’analyse a permis de conclure que c’était très probablement un produit cosmétique haut de gamme ayant une fonction similaire à celle des produits modernes. La caractérisation des acides gras permet de penser qu’ils sont principalement d’origine bovine, du suif très certainement. L’analyse des fractions après pyrolyse a permis de détecter des fractions fortement associées à des dérivés glucidiques que les auteurs ont interprétés comme étant très probablement de l’amidon. Quantitativement l’ensemble de ces ingrédients représenterait environ 80 % de la composition. La diffraction aux rayons X confirme cette hypothèse et conduit à l’idée d’une addition intentionnelle d’oxyde d’étain, SnO2. Ces métaux lourds étaient souvent utilisés pour blanchir la peau. Celles ou ceux qui veulent en savoir plus peuvent se référer à cette contribution
Récemment, a été rapporté le fait qu’une crème pour le visage de 2700 ans a été découverte dans la tombe d’un noble en Chine. Dans cette étude publiée par la revue Archaeometry, l’équipe de scientifiques révèle être parvenus à analyser la composition de ce produit. En l’ouvrant ils ont constaté qu’elle recelait encore des résidus préservés. Après les avoir soumis à des analyses, ils ont conclu que le mélange jaunâtre était constitué de graisse animale et d’une poudre minérale issue de dépôts appelés en anglais « moonmilk » qui se forment dans des cavités naturelles souterraines. Plus intéressant, la poudre minérale issue du moonmilk (en français, « lait de lune ») offre elle des propriétés blanchissantes. D’après les archéologues, la mixture était ainsi probablement une crème pour le visage destinée à blanchir la peau. Celles ou ceux qui veulent en savoir plus peuvent consulter cette publication de GEO:
Assez curieusement un fabricant en 2021 nous présentait récemment un ingrédient, nouveau selon lui, la Kisolite BMP™ dont on nous dit : Kisolite® BMP is processed, without the use of harmful chemicals, into a consistent homogenous powder that is a safe and valued multi-functional ingredient for skincare, personal care, and beauty aid products. “Oral tradition confirms that the Heiltsuk people discovered that this clay-like mineral and used it as a remedy for various ailments,”. “This rare and ancient elemental resource is now available as a multi-application ingredient for skin wellness and personal care products.”
La similitude entre le moonmilk et la kisolite, distantes de plusieurs milliers d’années interpelle. Faut-il rechercher dans les origines des populations primitives de l’est du continent américain, les Heiltsuks, qui ont traversé le détroit de Béring dans des temps très anciens, la raison de cela ?
Qu’est-ce que cela nous apprend ? Difficile de tirer la moindre conclusion de tout ça, sauf que l’art du mélange est millénaire. Qu’il y eu des époques où la pharmacopée était un peu folklorique avec le recours à des ingrédients plus symboliques que réellement efficaces. On peut encore en trouver des traces dans certaines pratiques actuelles. Qu’il est fort probable que ces produits ne contenaient pas d’eau. Étaient-ils très en avance sur leur temps, où nous raconte-t-on des histoires en nous vantant les mérites de la cosmétique solide. Au moment de la création de l’Académie royale de médecine (XVIIème) qui s’intéressait aux « remèdes secrets » dont la cosmétique faisait partie, plus des deux tiers des produits étaient sur base végétale ! La cosmétique n’a donc pas toujours été chimique et synthétique. Et que quoiqu’il en soit, probablement qu’à cette époque personne ne se questionnait sur le genre de ces produits : bio, naturel, clean, vegan et autres.
Le propre de la mode est de se démoder disait Mademoiselle Chanel. Qu’adviendra-t-il de ces façons actuelles de formuler, car ce ne sont que des modes de formulation, elles font simplement la cosmétique du moment, mais sont-elles vraiment associées à des progrès techniques ? Je vous laisse apprécier.
Enfin, ne confondons pas la bonne et la mauvaise mixologie. La bonne est celle des prémix qui est une approche très rationnelle de formulation de pré-mélanges dans le but de les associés très rapidement. L’autre, celle qui règne en maître dans un trop grand nombre de laboratoires. Elle qui consiste à mélanger n’importe quoi avec n’importe quoi, de préférence n’importe comment (les turbines qui font wroummm!!!) pour essayer de faire quelque chose ! Certain appelle ça la sérendipité !
Merci de votre attention.
Vous trouverez dans cette newsletter les liens utiles pour comprendre ce thème.
Bonne lecture, bonne écoute, ou les deux.
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