Lorsque l’on observe la façon dont les gammes de produits de beauté étaient construites à la fin du XIXe siècle, mais surtout dans la première partie du XXème siècle, il est surprenant de constater que de nombreuses gammes incluaient des produits dont la destination étaient les muscles du visage. C’est le cas par exemple de la gamme Barbara Gould. Pourquoi cela ?
Jusqu’à un passé récent, même encore maintenant, la prise en charge des rides comme signes majeurs du vieillissement constitue une priorité dans l’approche de l’antiâge. L’origine des rides a donc toujours intéressé au plus haut point l’industrie cosmétique. Les approches antiâges classiques prenaient donc en compte les causes courantes comme une mauvaise alimentation, une microcirculation lente, la perte d’élasticité de la peau, la perte de graisse sous-cutanée, ou encore une hygiène de vie déficiente. Mais parmi ces différentes causes supposées, la faiblesse musculaire était également considérée pratiquement au même niveau. La relation supposée entre les muscles et les rides était que lorsque les muscles du visage s’affaiblissent à la suite de toute une série de raisons : maladie, inquiétude, négligence, avancement des années, cela provoquait un affaissement de la peau renforcer les muscles du visage raffermirait la peau, améliorerait les contours du visage et réduirait la production et la visibilité des lignes du visage. C’est la logique que les spécialistes de l’époque suivaient.
Le massage a été longtemps associé à cette question car il était supposé renforcer les muscles. De nombreuses techniques de massage, voire de gymnastique faciale vont proposer des approches plus ou moins efficace.
Parmi celles-ci on ne manquera pas de citer le pincement Jacquet. Mise au point par le docteur Jacquet en 1911, cette pratique parviendra jusqu’à nous, soit sous la forme de la technique initiale,
soit de façon plus sophistiqué grâce à des appareils et une technique qui fait référence intitulé l’Endermologie®. La sollicitation mécanique est la technique de base.
- https://cosmetotheque.com/2021/01/26/la-mecanique-au-secours-de-la-beaute/
- https://cosmetotheque.com/2020/11/23/la-mecanique-au-secours-de-la-peau/
- https://cosmetotheque.com/2021/02/11/la-beaute-instrumentale/
- https://cosmeticobs.com/fr/articles/produits-38/beaute-instrumentale-2-la-sollicitation-mecanique-3893
- https://cosmeticobs.com/fr/articles/produits-38/la-mecanique-au-secours-de-la-beaute-4145
Les techniques de massage sont nombreuses et il serait bien difficile d’en faire l’inventaire exhaustif. ces dispositifs. Serana Habib qui m’a aidé à préparer ce dossier ci-joint qui complète ces informations.
Mais d’autres routines peuvent répondre comme différentes méthodes de gymnastique faciale, ou encore des appareils très simples comme le Facial-Flex.
Certains rouleaux et/ou tapettes vont également dans ce sens.
Bien évidemment, des applications sur smartphone complètent dorénavant tous ces dispositifs.

Mais dans le temps, les gens pensaient qu’il était important de nourrir les muscles en appliquant une huile musculaire, également connue sous le nom d ‘huile suppléante, d’huile tonifiante ou « d’huile antirides ». Le raisonnement derrière les huiles musculaires est très similaire à celui des « aliments pour la peau », qui étaient également censés nourrir la peau en accumulant de la graisse sous-cutanée, dont le manque était également considéré comme une cause de rides du visage. La croyance en la capacité de régénération de la chair des muscles par des huiles végétales était courante. Elles étaient même recommandées dans le cadre d’un traitement amincissant, pour nourrir le visage pendant un régime afin qu’il ne paraisse pas décharné, ou pour renforcer les seins. En 1898, Browning disait : «j’ai trouvé par expérience qu’il est plus facile de « décoller » de la chair que de la « mettre », mais le meilleur traitement est de dormir autant et aussi souvent que possible; manger autant d’aliments les plus nourrissants que le système en assimilera; éviter l’excitation nerveuse, le travail cérébral et l’exercice musculaire; pour avoir autant d’air frais que possible, et autant de rires; pour maintenir un tempérament égal, un esprit satisfait et une tendance à l’indolence générale. Un cours de massage et certains types de bains médicamenteux aideront grandement ce traitement. (Browning, 1898, p. 219-220)
Parmi les produits de l’époque, la plus remarquable des huiles musculaires était un produit proposé par une marque s’intitulant Eleanor Adair. Cette marque proposait son « huile de muscle oriental de Ganesh ».
Eleanor Adair était une jeune femme britannique qui à la suite de son mariage avait séjourné dans le nord de l’Inde, près de l’Himalaya. Au début du XXe siècle, en rentrant en Angleterre, elle créera des salons de beauté qui gagneront rapidement en notoriété. Elle a utilisé son expérience de l’Inde pour affirmer que ses « secrets » provenaient de la vallée du Cachemire et plus précisément d’un « temple de Ganesh », d’où son nom. On pouvait lire que cette préparation particulièrement réussie a été appelée « The Great Beautifier ». Bien qu’elle ait donné son nom à ses salons, Adair n’a pas fait de même pour ses produits et traitements.
Géniale parce que ses qualités et ses bienfaits sont fondamentaux et non superficiels. Lorsque la fatigue, le surmenage ou la négligence font que les muscles qui forment le contour du visage s’affaissent et se contractent, la peau extérieure devient lâche, ridée et tapissée ; des creux et des poches s’ensuivent. Ce n’est qu’en rajeunissant, stimulant et nourrissant ces muscles et tissus fatigués jusqu’à ce qu’ils soient sains, pleins et fermes que la peau externe s’étendra sur eux en douceur et uniformément, permettant à une couleur naturelle et jeune. Ceci peut être accompli de manière satisfaisante et en un temps étonnamment rapide en utilisant l’huile musculaire orientale de Ganesh, qui est si proche des huiles naturelles de la peau que les tissus l’absorbent rapidement et sont renforcées par elle.
Eleanor Adair n’était pas la seule à vanter les avantages de ce type de cosmétique, la plupart des grandes entreprises de salon utilisant des huiles musculaires dans leurs traitements à un moment ou à un autre. Ses contemporaines, Jeannette Scalé (Mme Pomeroy) et Frances Forsythe (Cyclax) ont fait la même chose.
Formulation
Appelées également « tissue oils », ces produits sont appliqués sur les parties affaissées du visage. Elles sont formulées généralement à partir d’une huile végétale comme l’huile d’olive ou d’amande, avec de petites quantités d’une résine, de la térébenthine, du salicylate de méthyle et de l’huile de camphre convenablement parfumée. Les formules d’huiles musculaires sont apparues dans la plupart des textes de chimie cosmétique jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, après quoi elles ont disparu. Un exemple suit : Formule 1590 Poucher, 1932, p. 513-514
Huile d’amande douce | 1000 |
Styrax | 5 |
Huile essentielle de camphre. | 5 |
Térébenthine. | 5 |
Rose centifloria, No 1091. | 10 |
S’il était par ailleurs communément admis que seules les huiles naturelles avaient une « valeur nutritive », les huiles minérales étaient également utilisées, soit dans le cadre d’une formulation, soit isolément. Ce type d’huile compensant le fait que les huiles végétales laissaient parfois la peau sèche (deNavarre, 1941, p. 283) sont considérées comme plus émollientes. Considéré comme étant occlusives, elles aident à hydrater la peau et à rendre les rides temporairement moins visibles. Un autre exemple de formulation est le suivant : (Chilson, 1934, p. 320).
Cholestérine | 2 |
Huile d’olive | 20 |
Huile de ricin inodore | 10 |
Lécithine | 1 |
Huile minérale | 56,75 |
Alcool éthylique | 10 |
Parfum | 0,25 |
En Europe, où la tradition conduit plus souvent à utiliser des produits biologiques, les huiles minérales sont moins utilisées, de même que l’inclusion d’huiles « riches » telles que l’huile de foie de morue, d’avocat et de tortue.
De nombreuses marques américaines incluront ce type de produit dans leurs gammes, comme Elizabeth Arden avec Ardena Muscle Oil (1930). Barbara Gould en 1935 recommandait de mettre quelques gouttes de son huile musculaire à sa crème tissulaire qui avait pourtant la même finalité. Déjà du « Do it yourself » !
Tissue oil : produits et publicités
Comme pour les « aliments » pour la peau, l’adoption de l’American Food, Drug and Cosmetic Act (FD&CA) en 1938 va conduire l’American Food and Drug Administration (FDA) à réduire massivement les produits cosmétiques faisant des déclarations nutritionnelles, au grand plaisir de l’American Medical Association (AMA). L’American Food, Drug and Cosmetic Act de 1938 ne s’appliquait qu’aux États-Unis, donc ailleurs dans le monde, les sociétés de cosmétiques pouvaient continuer d’utiliser ce terme cette revendication jusqu’à la fin des années 1960.
Bien que les produits se revendiquant comme « huiles musculaires » aient disparus depuis longtemps, un écho tardif apparaitra ultérieurement. Ces produits seront souvent confondus avec des huiles de massage, qui existaient avant mais qui étaient une catégorie à part entière. Elles changeront d’ailleurs d’appellation. À côté des huiles de massage qui continueront d’exister, une marque comme Clarins en étant le plus bel exemple, un type d’huile particuliers dominera la situation. Ce sont ce que l’on appelle par une appellation antinomique « huile sèche ». L’huile n’étant pas mouillé, elle ne peut pas être sèche ! Une analyse complète de cette catégorie ici. Ces produits feront l’actualité des années 2000 avec un produit culte, l’Huile Prodigieuse de Nuxe, qui bien que ne s’étant probablement pas inspiré du produit « The Great Beautifier », n’en reproduira pas moins le phénomène avec des caractéristiques différentes.
Pour finir sur ce registre, les sérums huileux corps, mais surtout visage, redeviendront d’actualité. Les éléments qui conduiront l’industrie à reconsidérer ce type de préparation sont à rechercher dans l’affaire des Parabens. En effet, les questions portant sur ce type de substances vont mettre en exergue la question de la propreté microbiologique. Il est bien connu que ce risque est fortement associé à la présence d’eau dans les formulations. Face à la problématique de la réduction, voire de suppression des conservateurs antimicrobiens, l’industrie reviendra sur les modes de formulation anhydres, c’est à dire sans eau, c’est à dire à base de mélanges d’huiles. Et on s’apercevra que ce sont d’excellents produits. Ces produits seront souvent développés à base des fameuses huiles volatiles, mais pas exclusivement.
Nous sommes dans les années 2010. La boucle est « bouclée », tout du moins pour le moment !!!!!
Pour m’avoir aidé à la rédaction de cette partie, remerciements particuliers à Serena Habib
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