Quelques thèmes sont particulièrement médiatiques en ce moment. Du coup, on a l’impression qu’il s’agit de découverte récente alors que dans un bon nombre de cas, il ne s’agit que de renouveau à partir d’idées que nos anciens avaient déjà eues. Le biomimétisme est un de ces exemples, tout comme l’UpCycling a qui on a donné un nouveau nom, mais tous les 2 viennent de loin. Copier la nature dans ce quel fait de mieux est une excellente idée et l’intérêt que nous lui portons est pertinent. Laissez-moi donc vous raconter l’histoire de ces études un peu particulières qui ont permis de passer de la plume de canard à un huile précieuse et qui quelque part à servis de source d’inspiration aux chimistes.
Pour écouter cet épisode :
Cette histoire est associée à celle des esters d’acides gras, qui viennent directement des applications de la Lipochimie qu’Eugène Chevreul a initié au XIXème siècle. La fabrication de ces substances sera réalisée par des sociétés spécialisée dans les corps gras dont certaines existent encore comme la Stéarinerie Dubois qui vient de fêter son bicentenaire, ou qui ont disparues comme la maison Cusinberche, plus connue sous le nom de Savonnerie et Stéarinerie de Clichy. L’étude des esters, corps chimiques assez communs, issus de la combinaison d’un alcool et d’un acide gras, va permettre de synthétiser une multitude de composants. Jusqu’alors, les huiles végétales étaient largement utilisées pour traiter la peau et l’esprit dans les différentes médecines ancestrales. Ces produits étaient souvent des pommades ou des baumes, mélanges anhydres presque essentiellement constitués de corps gras et sans eau. Les chimistes vont alors s’en donner à cœur joie en mettant au point de nombreux esters simples. Parmi les plus connus figurent des produits comme le Myristate ou le palmitate d’isopropyle, ou encore le palmitate de cétyle qui remplacera le Blanc de baleine. Ce sont des corps gras synthétiques particulièrement intéressants car très stables, ils ne rancissent pas. Non poisseux par rapport aux principaux corps gras utilisés à l’époque, ils retiennent l’intérêt des formulateurs. Dès lors ces substances vont rentrer dans la composition de nombreux produits, crèmes et émulsions en particulier en complément des huiles minérales déjà copieusement utilisées. Ainsi, les crèmes formulées avec des huiles « chimiques » sont plus blanches, moins collantes et plus faciles à parfumer ; un vrai atout. Toutefois ces huiles synthétiques présentent un inconvénient qui est qu’elles rendent la peau plus ou moins imperméable en formant un film en surface. A long terme, on pensait que cela pouvait engendrer des symptômes négatifs liés à l’occlusion : température excessive de la peau, hyperhydratation du stratum cornéum, changement de la flore microbienne…etc. Ce mécanisme a même été associé par certain à ce que l’on a appelé à tort « l’acné cosmétique ». Du coup certain se sont alors lancé dans la recherche de corps gras plus compatibles avec la peau. Après la seconde guerre mondiale, la graisse de laine de mouton, la fameuse lanoline s’avéra un candidat prometteur. Elle fut largement employée par l’industrie dans les années 50 en mélange avec des corps gras chimiques pour ses propriétés anti-occlusives. Mais les recherches vont se poursuivre pour améliorer encore l’application et la texture des crèmes afin de les rendre plus sensorielles. Une société allemande, Dragoco, tout d’abord appelé́ Dragon Company fondé par Carl-Wilhelm Gerberding en 1919, basé à Holzminden en Allemagne, spécialisée dans un premier temps autour des parfums et des arômes, va relever le challenge. Cette société fait aujourd’hui partie du groupe Symrise.

De nombreuses matières grasses animales furent alors étudiées grâce au développement de méthodes analytiques. Celle qui retint l’attention fut une huile trouvée dans les glandes uropygiennes des oiseaux situées au niveau du croupion. Cette glande sébacée spécifique produit un mélange complexe de corps gras et de cires. Ce mélange sert à l’entretien du plumage en agissant sur la flexibilité des plumes et comme agent antimicrobien, tout en assurant l’effet de protection du plumage. La découverte de cette huile, qui avait un pouvoir répulsif vis à vis de l’eau et des propriétés d’étalement remarquables, va tout de suite intriguer les chimistes de Dragoco. Mais elle était produite en toute petite quantité par les oiseaux et ne pouvait pas être récupéré pour une application industrielle. Après de longues recherches, il a été montré que les propriétés de ces huiles étaient associées à la forte concentration en esters d’acides gras saturés à longue chaine ramifiée principalement de type esters cireux. La copie par synthèse étant trop délicate à cette époque, les travaux se sont portés sur un autre ester ayant des propriétés très proches, l’ester palmito-stéarique du 2-éthylehexyle alcool. Cet ingrédient présente de grandes similitudes fonctionnelles avec les huiles de référence.
Ainsi naîtra le Pur-Cellin Oil™. Cette nouvelle huile présentait des propriétés tout à fait remarquables, en particulier l’absence d’odeur et de couleur, ainsi que sa remarquable résistance à l’oxydation. Tout comme les huiles de glandes uropygiennes, cette huile montrait des propriétés de mouillabilité remarquables vis à vis de la peau, avec un étalement bien supérieur aux huiles minérales tout en formant un film fin et non collant. Les films présentent également un pouvoir occlusif nettement inférieur aux huiles minérales, améliorant ainsi la compatibilité des produits avec la peau. Dans le même temps, un second ester d’acides gras sera synthétisé par Dragoco, le Pur-Cellin solide. Lors du dépôt de brevet de la marque Purcellin™ par Dragoco en 1961, aux États-Unis, celle-ci est décrite comme étant un corps gras synthétique basé sur l’huile issue des glandes d’oiseaux et pouvant être utilisée dans la préparation des cosmétiques.
Ce nouveau composé a été une alternative remarquable aux corps gras végétaux et au triptyque courant en formulation : huiles végétales/huile minérale/lanoline, une vraie rupture pour la formulation des cosmétiques a cette époque. Un expert estime que le produit dans les années 80, après 25 ans d’utilisation aux USA, aurait été vendu à plus de 10 milliards d’unités de vente !!
Alors, clean, vegan, slow, bio, synthétiques, chimiques ?
Peu importe, rien de tout ça. Une bien belle histoire pour un bien bel ingrédient devenu depuis une commodité. Souhaitons aux ingrédients que nous inventons à l’heure actuelle, comme les bioalcanes, connaissent la même notoriété et rendent autant de services.
Laisser un commentaire