Ce billet d’humeur m’a été inspiré par l’écoute, un peu distraite dans un premier temps, puis plus attentive et même répétitive dans un second temps, d’une émission de la Méthode Scientifique. Donc, si vous en avez envie, et si vous avez le temps ou que vous le preniez, je vous recommande d’écouter ce podcast qui s’intitule : « Le morceau de sucre qui aide la médecine à couler ».
Dans cet exercice, 2 éminents spécialistes, un des neurosciences et l’autre de pharmacie, s’attardent sur l’effet placebo. Déjà vu et déjà entendu diront certains car c’est aussi vieux que la médecine. Encore que ! On trouve des traces de cet effet dans l’Egypte antique, et jusqu’à Corvisart qui soignait ses patients avec de la mie de pain. Aujourd’hui, on en connait un peu mieux les tenants et les aboutissants, notamment en termes de neuro-imagerie et d’influence sur différents neurotransmetteurs. On sait par exemple que cet effet concerne en fait toutes les pathologies. Contrairement à ce que l’on croyait, ce n’est pas uniquement un effet psychologique, il a un effet réel. Il commence très tôt au niveau même de la personne qui administre le traitement. Un médecin empathique, charismatique, enthousiaste et positif modifiera l’effet du médicament. Il y a des effets placebo chirurgicaux. Dans certains cas, l’effet placebo pourrait représenter jusqu’à 40% du succès. Ça concernerait à la fois l’effet immédiat, mais également les effets dans le temps. L’effet d’une injection de sérum physiologique aurait pratiquement le même effet que l’injection de corticoïdes dans le traitement d’une arthrose du genou. Les effets préalables d’un traitement impacteraient également le résultat d’un nouveau traitement. Et on pourrait comme ça multiplier les exemples. Dit autrement, l’effet est réel et fortement associé aux conditions dans lesquelles les choses se passent.
Pourquoi me suis-je intéressé à cette question ?
Parce que dans le monde cosmétique, la recherche de sérieux et de vérité des dernières décennies a conduit à mimer les pratiques médicales ou pharmaceutiques entre-autre dans les études dites d’efficacité. Elles doivent se faire dans un contexte de sérieux absolu. Conséquence de quoi les études d’efficacité sont conduites en prenant bien soin de rester indépendant par rapport à la relation du produit à l’utilisateur, et surtout pas en considérant les conditions et la relation du testeur au produit. Comment fait-on dans nos métiers : soit des études cliniques minutieusement détachées de toutes considérations oniriques, soit des études consommateurs, mais qui ne mesurent objectivement rien ou presque, restant au niveau hédonique. Les études de cartographie des préférences ont pourtant montré que ces critères de préférence sont souvent associés à des dimensions plus organoleptiques que biologiques, mais ça n’a pas beaucoup fait bouger les lignes. De fait on n’intègre que rarement dans ces études la dimension onirique des produits : marque, storytelling, prix, mode de présentation, positionnement etc. Or, si le monde du cosmétique est celui du plaisir et de l’agrément, les conditions d‘étude sont donc bien différentes des conditions d’usage.
Or les neurosciences nous indiquent que l’effet placebo a un effet au niveau du cerveau bien évidement en termes de satisfaction, mais peut-être même d’efficacité. On avait déjà montré un effet sur le circuit de la récompense de produit cosmétique, mais toujours en dehors du contexte du produit. On sait également que l’épiderme produit localement des enképhalines qui ont des relations avec cet effet placebo.
Quelques cosmétologues se sont interrogés sur ces questions. Ma modeste personne dans un contexte que nous avions appelé avec mes camarades : la cosmétique cognitive, quand nous avions travaillé sur les territoires de la beauté sur la base du travail d’Elisabeth Kubler-Ross. Puis Karl Lintner qui pose la question de savoir comment la satisfaction modifierait le niveau d’efficacité. Dans une étude[1] présentée récemment à l’IFSCC de Munich, étude à laquelle Karl est associé, Aubert et coll. montrent que les avantages des produits de soin cosmétiques peuvent être obtenus non seulement biologiquement (propriétés de la peau), mais aussi psychologiquement (estime de soi, satisfaction de soi, humeur, bien-être). Cette étude a permis de constater que si les avantages psychologiques sont basés sur des effets biologiques visibles leur amplitude relative peut être amplifiée par l’apport psychologique. Ceci rappelle une autre étude du genre[2], antérieure, qui compare l’efficacité de deux crèmes (l’une avec un actif anti-rougeur/anti-irritant, l’autre sans l’actif) au niveau instrumental et visuel, mais également en interrogeant les panelistes régulièrement durant l’étude par un score d’autoévaluation. A cela s’ajoute une mesure du niveau de bien-être : questionnaire spécifique à cet aspect, administré au début et à la fin de l’étude. Ce qui en ressort est clair : la différence d’efficacité (homogénéité du teint) réelle et visible, différentielle entre « actif » et « placebo » perçue par les volontaires se traduit par des scores plus forts de bien-être, de sociabilité, d’engagement… Ici, le lien entre émotions positives et efficacité physiologique peut être bidirectionnel, l’un renforçant l’autre.
Dans un autre travail[3], les équipes du Kansei Science Research et de Kao Corp. ont essayé de mesurer l’impact sur l’apparence de la peau de produits au toucher très agréable. L’utilisation d’un crème spécialement formulée pour son agrément d’usage se distingue de produits plus classiques en étant plus efficaces. Ils constatent un réel effet associé à l’agrément de la texture. Leur conclusion est « les pensées positives vous rendent plus belle ! »
Et du coup, on est en droit de se poser la question de savoir si nous ne sommes pas passés à côté de l’efficacité et de l’agrément réel d’un cosmétique.
La question est donc de savoir quand et comment inclure dans une étude d’efficacité des éléments oniriques pour évaluer le bénéfice réel du produit. C’est une question difficile et compliquée, mais qui comme la formulation multiparamétrique, c’est-à-dire l’optimisation des critères de préférence, pourrait bien être un facteur puissant de progrès.
Une des dernières expositions du Palais de la découverte, avant sa fermeture pour rénovation, traitait de ce sujet et de l’effet placebo. Pas si ringard que ça !!!!!!
Et pour finir par une note plus humoristique, à l’heure où l’on constate l’utilisation du Cannabis dans les cosmétiques, et bien que les cannabinoïdes puissent avoir un effet au niveau cutané, une nouvelle voie ne s’ouvrirait-elle ? La cosmétique est assez imaginative pour ça, et ça sera toujours mieux que de faire des RAL vegan en remplaçant la cire d’abeille par de l’huile de cannabis !
Jean Claude LE JOLIFF
[1] Arnaud Aubert, Francis Vial, Alexandra Lan, Bin Chen, Keesuh Lee, Dongfang Kang, Karl Lintner – East West synergy in cosmetics: Demonstration of an increased efficacy of an anti-ageing cream combined with Chinese Herbal Medicine- 30th IFSCC Congress – Munich September 2018
[2] Bedos, P, Leduc C, Damiez C, Sirvent A, Girard F et Lintner, K. Quantifying Wellness. Cosmetics&Toiletries Magazine 2016, 11, p23-34.
[3] Tomohiko Morikawa, Shiori Nakano, Tomomi Seiya, Takeshi Murata, Hiroaki Ishii, Yoshito Takahashi, Rie Hikima, Motoaki Suka and Masayuki Matsumoto – Can your mind make you more beautiful? 30th IFSCC Congress – Munich 18-21 September 2018 –
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