Assez curieusement, lorsque l’on feuillette des formulaires de cosmétiques, même anciens, l’huile de lin apparaît rarement et on peut même en conclure qu’elle n’est pas ou très peu utilisée. Par contre le lin est très largement cultivé (production annuelle de plusieurs centaines de milliers de tonnes) et utilisé pour ses fibres qui rentrent dans la composition de très nombreux tissus et par voie de conséquence de vêtements. Pourquoi ce désamour de l’huile de lin.

Pourtant, la créativité étant souvent un des critères de choix des ingrédients cosmétiques, on peut se poser la question de savoir pourquoi cette huile n’a pas trouvé grâce aux yeux des cosméticiens. Sa composition ne semble pas être en cause. Elle n’est pas particulièrement riche ou au contraire pauvre en substances importantes. A l’exception des acides gras polyinsaturés (AGPI), car elle est remarquable par sa richesse en ces éléments, en particulier en acides linolénique et linoléique, qui lui doivent d’ailleurs leurs noms.
L’huile de lin est tirée des graines mûres du lin cultivé, pressées à froid et/ou à chaud. Souvent elle était extraite par solvant en vue d’un usage industriel ou artistique, principalement comme siccatif, ou comme huile auto-siccative.

Cette propriété de siccativité est-elle à l’origine du peu d’intérêt que l’on a porté à cette substance ? L’effet siccatif fait que les huiles concernées polymérisent très rapidement pour durcir pratiquement à température ambiante. Cet effet est souvent associé à des usages relativement triviaux et surtout renvoie à des questions d’innocuité. L’huile de lin est par excellence une huile siccative et ses usages étaient très souvent industriels : peintures, vernis, encaustique, mastic à carreaux etc., plutôt qu’orientés vers des produits à forte valeur ajoutée. Les siccatifs pour peinture à base d’huile de lin ont souvent contenu des taux élevés de plomb, les rendant toxiques ou contaminants.


La vente de l’huile de lin en France comme denrée alimentaire a été d’ailleurs interdite jusqu’en 2008, alors qu’elle était autorisée en Allemagne. Les autres usages à destination des humains suivaient la même logique. Probable que son désamour vient de là. En 2008, l’huile de lin a été autorisée dans les denrées alimentaires, en mélange en contrôlant la teneur en acides gras « trans » de l’huile. L’huile de lin a donc été autorisée dans les aliments courants, en mélange avec des huiles d’assaisonnement ou des matières grasses tartinables, ou pour des compléments alimentaires.
Une autre raison est probablement à chercher dans le fait que les connaissances sur les AGPI sont apparues assez tardivement. Si on savait ce qu’ils étaient, on ne savait pas très bien ce qu’ils font. Dans les années 70, on décrit seulement leur rôle dans la composition des lipides biologiquement actifs. L’intérêt pour les huiles riches en APGI va être modifié avec l’apparition du concept des « omégas. » En effet, les huiles se caractérisent par leur composition en acides gras. Parmi ceux-ci, les acides gras insaturés, mono ou polyinsaturés, sont particulièrement intéressants car considérés comme des pseudos vitamines que le corps humain n’est pas capable de fabriquer, mais qu’il utilise dans de nombreux systèmes biologiques. Nous sommes donc dépendants d’un apport exogène. Ces omégas sont classés, en fonction d’une nomenclature chimique, par un chiffre précédé du sigle ω pour « oméga ». Le chiffre indiqué vient de la position de la première double liaison de la chaîne carbonée de l’acide en comptant depuis l’extrémité opposée au carboxyle. Les principaux types d’Omega sont les omégas 3, 6 et 9. Or, il se fait que l’huile de lin est particulièrement riche en ces 3 acides gras. Plus de 70% des acides gras constitutifs de cette huile sont des AGPI, couvrant les 3 principaux, ce qui est relativement rare.
Composition en Acides gras de l’huile de lin
Composé | Famille d’acide gras | Teneur pour 100 g |
Acide alpha-linolénique (polyinsaturé) | ω-3 | 56,018 g |
Total acides gras mono-insaturés | 20,2 g | |
Acide oléique (mono-insaturé) | ω-9 | 18,115 g |
Acide linoléique (polyinsaturé) | ω-6 | 15,553 g |
Total acides gras saturés | 9,4 g | |
Acide palmitique (saturé) | 6,047 g | |
Acide stéarique (saturé) | 3,428 g | |
Acide arachidique (saturé) | 0,146 g | |
Acide lignocérique (saturé) | 0,078 g | |
Acide cétoléique (mono-insaturé) | ω-11 | 0,068 g |
Acide béhénique (saturé) | 0,068 g | |
Acide palmitoléique (mono-insaturé) | ω-7 | 0,046 g |
Acide heptadécanoïque (saturé) | 0,046 g | |
Acide myristique (saturé) | 0,041 g | |
Acide pentadécanoïque (saturé) | 0,014 g | |
Acide érucastique (mono-insaturé) | ω-9 | 0,13 g |
Source Wikipedia from USDA National Nutrient Database for Standard Reference
Ceci en fait donc un ingrédient particulièrement intéressant dans des applications de santé humaine. En cosmétique au-delà de son intérêt comme lubrifiant ou comme émollient, on sait que les APGI jouent un rôle dans le processus d’inflammation et donc dans « l’inflam’age », qu’ils contribuent à former l’effet barrière par incorporation dans les acylcéramides, donc hydratants, qu’ils réduisent la TEWL etc. Leur relation au microbiome commence à être décrit. Il y a donc de nombreuses bonnes raisons pour utiliser ces éléments.
L’huile de lin est extraite des graines de lin récoltées à maturité, séchées puis triturées et pressées. L’huile de lin ou « huile de graines de lin » est une huile végétale de couleur jaune d’or. L’industrie cosmétique ne s’en est pas emparé rapidement pour autant, mais avec l’usage d’huiles fortement insaturées comme les huiles de noyaux, le Sacha inchi ou encore l’huile de pastel, qui lui ressemble beaucoup, ceci fait que les choses changent. Les utilisations comme complément alimentaire concourent également à son intérêt. Pour obtenir une huile propre à la consommation humaine, le lin est essentiellement pressé à froid. L’huile et les produits l’incorporant doivent faire l’objet d’une étude minutieuse en ce qui concerne leur stabilité oxydative.
Depuis une dizaine d’année, l’utilisation cosmétique de l’huile de lin est devenue plus fréquente. Voici quelques réalisations. https://cosmeticobs.com/fr/ingredients/linum-usitatissimum-seed-oil-1090, ou encore cette série de produit à base d’huile de lin, avec les années de lancement: Utilisations huile de lin
Une nouvelle gamme de produit cosmétique vient récemment d’être proposée à la vente : https://linaeskincare.com/fr/
On peut imaginer que toutes ces marques ont résolu les problèmes en formulation que pose cette huile très fragile. Mais elles ne dévoilent pas beaucoup leur recette ! L’une de ces solutions consiste peut-être dans le dosage final, qui est souvent extrêmement faible ! C’est un peu dommage au regard des propriétés de cette huile remarquable. Les produits en pâtissent probablement en termes de performances.
Ce « vieil » ingrédient, longtemps rangé au rayon des commodités pour l’industrie, retrouve donc une grande partie de l’intérêt que nous n’aurions jamais dû oublier. Il trônera peut-être demain dans des magasins de produit de beauté plutôt que sur les rayons des quincailleries. Il n’est peut-être pas nécessaire d’aller chercher au bout du monde des choses exotiques alors que l’on a sous la main des choses qui font très bien ce qu’on leur demande !!!!
Jean Claude LE JOLIFF
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