L’actualité s’est portée récemment sur les micros plastiques au travers de leur impact sur l’environnement. De ce fait, il s’est déclenché une campagne d’opinion sur l’idée de savoir quel pouvait être l’intérêt de ces substances en cosmétique et leurs effets sur l’environnement. À la suite de cela, des mesures de restriction se sont mise en place et d’autres sont prévues à terme. Il y a plusieurs types de micro plastiques utilisés dans la formulation des produits cosmétiques, tous n’ont pas le même niveau d’intérêt. Retour aujourd’hui sur l’un d’entre eux, peut-être le plus important et le plus intéressant, le nylon.
Parmi les belles étoffes, celles à base de soie exercent un attrait particulier dû à leur toucher agréable. Mais la production naturelle de la soie les rend très chères à produire. Aussi dès la fin du XIXe siècle les chimistes essayent-ils de produire une soie artificielle qui serait disponible en grande quantité à faible coût. C’est ainsi que Hilaire de Chardonnet et Auguste Delubac inventent en 1843 la Viscose, une soie artificielle à base de cellulose et de collodion. Cela stimula les recherches de nombreux chimistes cherchant à développer des produits de synthèse aux propriétés nouvelles. C’est ce qui permettra la mise au point du Nylon quelques décennies plus tard.
Le Nylon est une matière plastique, de type polyamide, très utilisée dans l’industrie textile. Apprécié pour sa résistance et sa ressemblance à la soie. Le Nylon est aujourd’hui utilisé dans de nombreux vêtements : les bas nylon ou collants, la lingerie, les coupes-vent, les vêtements de sport, les doublures… Et même dans les brosses à dents, les filets de pêche et les cosmétiques de façon générale.
L’invention du Nylon marque le début du développement industriel des fibres synthétiques. C’est une matière synthétique appartenant à la famille des polyamides obtenue par condensation à chaud d’une substance possédant deux fonctions acides et d’une substance dérivée de l’ammoniaque. Le nylon 6-6 s’obtient par polycondensation à chaud entre un diacide carboxylique et une diamine. C’est Wallace Hume Carothers, chimiste de l’université Harvard, embauché dès 1928 par la firme américaine Du Pont de Nemours, qui en est à l’origine. À partir de recherches fondamentales sur les processus de polymérisation, il réussit deux percées considérables. D’abord en 1932, le travail de son service conduit à la prise d’un brevet pour le Néoprène, caoutchouc synthétique doté d’excellentes qualités de résistance à la chaleur, à la lumière et à la plupart des solvants. Puis, en 1935, Carothers obtient le Nylon, polyamide à partir duquel il produit des fibres élastiques et résistantes bien adaptées au tissage. La production industrielle du Nylon commença en 1938.
Le nylon proprement dit est breveté mais le terme « nylon » n’a jamais été déposé en tant que marque. Il n’y a donc pas la nécessité de mettre une majuscule a ce nom. Il circule de nombreuses étymologies sur l’origine du mot « nylon », comme celles affirmant que le nylon provient de NY (New York) et LON (London). En 1938, il revient à un comité de trois membres de Du Pont de Nemours de décider du nom. Le choix se porte sur nylon pour pouvoir prononcer de la même façon le nom par les Américains et les Anglais. Il s’agirait de l’acronyme formé par les initiales des prénoms des épouses des cinq chimistes de Du Pont de Nemours qui collaborèrent à sa découverte, à savoir Nancy, Yvonne, Louella, Olivia et Nina.
Sous le terme de nylon, on trouvera différents types de substances de type polyamide, comme le nylon 6-6, mais aussi 6-4, 6-9, 6-10, ou encore le polyamide 11 dit Rilsan ou Nylon français ou le polyamide 12. Le Perlon fait partie de cette famille, tout comme le Kevlar qui est un dérivé (aramide). Si la brosse à dent en poils de nylon constitue la première application industrielle du nylon, apparue dès 1938, celle qui a réellement fait son succès a vu le jour en 1940 : le bas pour femmes. Pendant la guerre, le nylon servait aussi à fabriquer des parachutes. Puis, il fut utilisé pour la confection d’imperméables, de lingerie, de maillots de bain, de chaussettes et de vêtements de sport notamment.
Le nylon en cosmétique.
Le nylon, ou ses dérivés, sont utilisés dans un grand nombre d’application. L’aventure en cosmétique démarre dès les années 50 par des applicateurs, comme la brosse de mascara ou le pinceau de vernis à ongles. Ces dispositifs ont très tôt été fabriqués à partir d’une fibre particulière mise au point par du Pont de Nemours, le Tynex. C’est un dérivé de nylon qui va permettre de par ses propriétés de confectionner ces accessoires facilement. L’utilisation de ce matériau continue d’être une des bases de la confection des applicateurs de mascara, tout comme des pinceaux de vernis à ongles. Si un kilo de « Tynex » permet de fabriquer « que » 1 000 brosses à dents… ce seront 10 000 mascaras et 40 000 pinceaux de vernis à ongles.
Au-delà des utilisations dans le packaging, une autre utilisation va progressivement se développer. Il s’agit de la formulation. Tout commence au début des années 70 lorsque la société ATOChem, filiale d’ELF Aquitaine identifie un marché, en particulier au Japon, pour des poudres de polyamide. Contrairement aux poudres qui sont généralement obtenues par broyage, ces produits sont générés directement lors de la polymérisation à partir d’un noyau minéral (silice). Ils sont développés en Normandie, là-même où ont été développées des variétés de nylon français. La poudre se caractérise par des différences de structure, et en particulier sa porosité. Elles seront dénommées Orgasol®. En 1977, une production expérimentale est expédiée chez Shiseido au Japon pour des études expérimentales. Les premiers résultats ayant été encourageant, le lancement officiel des poudres d’Orgasol est annoncé à la fin de l’année 1982. Elles portent les noms d’Orgasol® 2002 D Nat Cos pour une granulométrie moyenne de 20 microns et Orgasol® 2002 D Nat Extra Cos pour une granulométrie de 12 microns.
Les premières applications se feront au niveau de la fixation des adjuvants ou comme l’imprégnation de certaines substances, ou encore de l’amélioration de l’étalement sur la peau pour des poudres comme les poudres visage. Les principaux opérateurs de l’industrie cosmétique vont donc référencer ces substances par ce type d’application et assez rapidement, l’utilisation de ces micro-éponges de nylon va s’orienter vers l’idée d’imprégner des substances dont l’utilisation est difficile : parfums, vitamines liposolubles, corps gras divers. C’est également le cas des principes actifs dans nombre de formulation de maquillage. La transformation de ces principes actifs sous forme de matrices imprégnées permet l’incorporation dans de très nombreux milieux propres à l’industrie cosmétique.
Mais parmi les applications qui incorporeront le plus régulièrement ces spécialités se trouvent également les poudres compactes. Si l’amélioration de l’application était une des utilisations initialement prévues, cette utilisation sera quantitativement plus importante et techniquement remarquable. En effet, le problème du compactage est souvent délicat, et les ingrédients utilisés présentent une dureté et une structure qui peut s’opposer au processus de compactage. A partir des années 80 vont se développer des compactages un peu particuliers. Il s’agit des compacts de forme ou de l’embossage. Contrairement à ce qu’il était d’usage de faire avant, à savoir des godets à surfaces plates, les technologies de compactage vont évoluer vers des objets différents, bombés, trapézoïdaux, pyramidaux. Il y aura également l’utilisation des techniques d’embossages pour spécifier ces préparations. L’idée était d’imprimer à la surface du produit un sigle particulier. La nature des matériaux utilisés pour réaliser ces produits se prêtent assez peu à ce mode de compactage. Les poudres de nylon, de par leur caractère élastique, permettent d’appliquer des pressions plus basses, et d’obtenir des compacts de forme présentant à la fois une bonne résistance, mais également une délivrance de produits suffisante et satisfaisante.
La raison en est que pendant le processus de compactage, les poudres sont soumises à la pression. Il se crée alors des gradients de pression différents en fonction de la forme. Les poudres à base de nylon épousent plus facilement les différences de pression dues à la géométrie des produits, ce qui est très difficile à obtenir avec des matériaux de carrière tels que le talc ou le Mica. Très rapidement ces utilisations vont se généraliser à d’autres formes de contacts. Ils vont devenir une des indications majeures. A titre d’exemple, on peut citer des produits d’un type particuliers comme le Pastel teint de Bourjois puis la Poudre Douce de Chanel ou encore la Poudre Facettes de Chanel dans un boitier de luxe. Ces produits seront proposés à la fin des années 80.



Ils vont constituer des bestsellers pour chacune des marques. Il s’agit de poudres compactes se présentant sous la forme d’un dôme de poudre compactée. Ces produits, initialement développés sur la base des technologies de mise en forme par voie humide, présentaient de nombreux défauts en complément des difficultés liées à un processus compliqué. L’utilisation d’une dose conséquente de poudre de nylon dans ces préparations a permis de passer à un mode de compactage par voie directe garantissant à la fois une qualité cosmétique supérieure mais également du point de vue qualitatif un aspect satisfaisant, un formage amélioré, sans défauts ni défectueux. Le petit téton en haut du dôme, à peine visible, se fera par sérendipité, mais sera une aide conséquente au compactage également.Si la Poudre Facettes a été rapidement discontinue, la Poudre Douce restera de nombreuses années au catalogue Chanel, décliné en de nombreuses versions.
Assez rapidement les opérateurs leader du monde du compactage adopteront ce produit comme attitude de compactage. Ce fut le cas par exemple d’Intercos, mais de nombreux autres spécialistes du compactage.
La vague du vert et du bio venant compléter l’arsenal des substances la disposition des formulateurs, les Orgasol® vont devenir également « verts » et bio. L’obtention de ces substances se faisant à partir d’acides gras bien souvent végétaux, le passage a des qualités améliorées va se faire assez rapidement. C’est ainsi qu’une variété dite Bio sera proposée. Ces caractéristiques sont très proches des produits initiaux, et permettront des utilisations analogues.
Les techniques d’imprégnation étant quelques fois un peu délicates, le fabricant, devenu Arkema, trouvera bon de procéder lui-même à cette technique, de façon à proposer des poudres pré imprégnées sous forme de matrices contenant des substances intéressantes. Ceci permettra aux laboratoires les moins bien équipé de pouvoir également avoir accès à ce produit. L’évolution des produits de maquillage vers des revendications de type soins permettra cette croissance.
On trouvera ici les brochures techniques des spécialités
Et demain?
Les qualités bio, vegan et autres sont déjà satisfaites. Le risque est sur l’aspect réglementaire. Les Nylons sont considérés à ce jour comme micro plastiques tels que définis dans la proposition de réglementation de l’ECHA. Si cette proposition devait être adoptée dans son état actuel, les Nylons 12 et 11 seraient bannis des formulations cosmétiques leave-on 6 ans après l’adoption de la réglementation. Cela mettra dans la difficulté les utilisateurs dans la mesure où la performance et la multifonctionnalité des Orgasol® sont aujourd’hui encore inégalées. Il n’existe pas vraiment d’alternative satisfaisante. Même si les progrès constatés sur les machines de compactage récentes font que cette opération est moins dépendante de la formulation que par le passé, la suppression de ces ingrédients sera dommageable et constituera à n’en pas douter une régression dans l’art de la formulation de ce type de produit.
Dans un travail récent, la société Shiseido propose une formulation de fond de teint permettant de reproduire les effets des bas dans un produit de maquillage. Selon les développeurs, ceci permet d’améliorer la répartition à la surface de la peau ainsi que la tenue. Le nylon n’a pas fini de faire parler de lui, même si on ne l’utilise plus !
Merci à la société Arkema pour leur aide précieuse dans la préparation de cette contribution.
Jean Claude LE JOLIFF
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