Avez-vous connu Barbara Gould ? La marque existe encore, mais a perdu pas mal de son lustre après avoir été une marque significative du panorama de la cosmétique des années 50 à 80. Cette marque a consonance américaine a pourtant une histoire française aussi.
Dans les années 70, les esprits simples pensaient qu’il s’agissait de Barbara Streisand, après qu’elle ait convolé en justes noces avec Elliott Gould.

C’est ce que nous nous amusions à raconter dans les couloirs de l’usine à Pantin. Pourquoi Pantin ? Parce que cette usine fabriquait les produits Barbara Gould, car cette marque d’origine américaine faisait partie de la galaxie Bourjois/Chanel et constituait même la marque de cosmétique la plus avancée de ce groupe. Bourjois était positionné plutôt sur le parfum et le maquillage. Quant à Chanel, c’était encore une marque presque exclusivement de parfumerie. Concernant la cosmétique, au-delà de produits que la postérité avait retenu comme la gelée solaire, l’investissement avait été principalement dans le maquillage. Barbara Gould sera d’ailleurs la base technique à partir de laquelle la cosmétique Chanel sera redéployée à partir de 1975.
La marque Barbara Gould est née aux États Unis comme nous l’apprend James Benett dans un très beau travail de recherche sur cette marque que je vous invite à découvrir.
La gamme a été lancée en 1928 par Woodworth, une ancienne société américaine qui produisait une gamme de parfums, d’extraits aromatisants, d’articles de toilette et de produits capillaires. Le moteur de la création de Barbara Gould semble avoir été Ralph Harris Aronson [1888-1935], président de Woodworth, Inc. Il avait épousé une certaine Edwarda Gould. Une fille dénommée Barbara naîtra de cette union en 1924. Cela suggère qu’Aronson a peut-être nommé la nouvelle société en l’honneur de sa fille. Pierre Wertheimer [1888-1965] et son frère Paul Wertheimer [1883-1948], qui contrôlent Bourjois en France, vont prendre en 1929 le contrôle de Woodworth dans le cadre d’un échange d’actions. De ce fait ils prennent le contrôle de la marque Barbara Gould. La fusion a permis à Woodworth d’utiliser les installations de fabrication et l’expertise de Bourjois et en contrepartie lui donner accès au réseau de distribution américain de Woodworth. Pierre Wertheimer a été nommé président d’International Perfume et Ralph Aronson en est devenu Vice-président et Directeur général. En novembre 1929 – après le crash de Wall Street d’octobre – les actionnaires d’International Perfume votèrent pour renommer la société Bourjois, Inc. (New York) et à partir de janvier 1930, les produits de la marque Woodworth disparurent ou furent rebaptisés Bourjois.
Une Barbara Gould a bien existé. La personne qui va assumer ce rôle semble avoir été Ruth Eliza Francis, née à Buffalo, dans l’État de New York en 1899. Ayant une relation « privilégiée » avec Ralph Aronson, elle sera la porte-parole de la marque pendant un certain temps. Elle est présentée en tant que « spécialiste américaine de la beauté ».

Dès le lancement la marque combinait des crèmes pour le visage Barbara Gould avec des poudres pour le visage Woodworth. La gamme originale de soins de la peau Barbara Gould se composait de plusieurs crèmes, dont l’une était la Woodworth Weather Cream (1927). Cette gamme s’organisait autour d’une approche privilégiant la simplicité comme clé de voute et sur la base de la logique des « quatre âges de beauté ». Le système commençait par un démaquillage, suivi d’une lotion, puis d’une crème ajoutée au fur et à mesure que les femmes progressaient en âge. Les 4 âges étaient : l’adolescence, la vingtaine, la trentaine et pour finir la quarantaine et plus. Les produits étaient spécifiques à chaque étape. Après 1935, dans le cadre de changement de marketing, les « quatre âges de la beauté » seront abandonnés de la publicité et Barbara Gould passera à l’organisation de ses cosmétiques de soins de la peau par l’utilisation plus traditionnelle des types de peau : normale, grasse et sèche.
Dans son travail, James Bennet détaille les principaux produits qui se succéderont au sein de cette gamme. Parmi ces produits, certains seront assez originaux pour l’époque comme la Crème pour les Mains, un produit pour le décolleté, du maquillage pour le dos ou encore de la gymnastique faciale. A noter également une crème « musculaire » destinée au massage ou encore un fluide activant la microcirculation à base d’extrait de piment. Dès 1928 une gamme de Rouge à lèvres avait été développée, complétée ensuite par une gamme de maquillage au début des années 30. Parmi les produits, on retiendra un fond de teint liquide, Complexion Dressing, adapté à tous les types de peau. Excellent pour le maquillage du cou et de la gorge car « il ne déteint pas sur les vêtements ». Plus tardivement la teinte Mandarin Tan de Complexion Dressing sera recommandée comme substitut de bas pendant la Seconde Guerre mondiale.
1934 Barbara Gould Cleansing Cream and Face Powder.
La partie européenne est beaucoup plus floue, nous ne disposons que de peu d’éléments avant la deuxième guerre mondiale. On sait toutefois que la société ouvrira des salons de beauté un peu partout en Europe en commençant par Paris comme en témoigne cette coupure de presse.
@RetroNews – Le Figaro 30/10/1930
À la fin de 1931, d’autres salons Barbara Gould avaient ouvert leurs portes à Londres, Berlin, Prague, Rome, Vienne, Budapest et Milan.
@RetroNews – Comedia 23/2/1931 – Barbara Gould et Marlène Dietrich de retour de Berlin
L’affaire va connaître une vie parallèle tout d’abord en Amérique du Nord, USA, Canada et Mexique, puis en Europe au travers de salons. La partie américaine est parfaitement décrite par James Bennet. En 1935, Ralph Aronson décède subitement à la suite d’une opération. Le contrat de Ruth Francis avec la société semble avoir été résilié à cette époque. Ses dernières émissions pour Barbara Gould étaient en 1936 et on ne trouve plus aucune référence à elle dans la littérature de l’entreprise après cette date.
Sur le plan logistique pour l’Europe, il semble que les produits soient importés dans un premier temps des USA. En France, la société Barbara Gould SA sera fondée au 135 avenue de Neuilly, Neuilly-sur-Seine, en juin 1940. L’Amérique n’étant pas en guerre avec l’Allemagne à cette époque, cette nouvelle société française pouvait opérer sur le marché français. En fait, la société n’a pas vraiment eu d’activité en France après la déclaration de guerre. Barbara Gould a été disponible en Grande-Bretagne tout au long de la Seconde Guerre mondiale. Cependant, l’usine Bourjois de Croydon ayant été lourdement bombardée en 1940, Barbara Gould a cessé d’être disponible en Grande-Bretagne.
La seconde guerre mondiale verra les activités de Barbara Gould se poursuivre essentiellement en Amérique du Nord, principalement les USA. À l’été 1945, Pierre Wertheimer reprend le contrôle de ses sociétés françaises, dont Barbara Gould. Aux États-Unis, une certaine rationalisation a eu lieu. En 1952, Hugo Langdon Bell [1907-1992] est devenu le nouveau président de Bourjois et de Barbara Gould. Il avait rejoint en 1950, venant de Lehn & Fink où il avait été vice-président en charge des ventes. Il parlait couramment l’anglais et le français, ce qui devait aider à traiter avec les Wertheimer et le côté français de l’entreprise. L’un de ses premiers actes a été de regrouper les forces de vente des deux marques aux USA.
En 1951, le siège parisien de Barbara Gould avait été déplacé vers le 43 avenue Marceau, siège de la société Bourjois. Dès lors Barbara Gould va développer une activité à part entière en France et en Europe. Profitant du succès des marques des « grandes » dames américaines de la beauté, Helene Rubinstein, Elizabeth Arden en particulier, la marque va se spécialiser sur ce positionnement. La distribution sera tout d’abord celle des grands magasins. A une époque où la publicité est peu développée, la présence de stands dans les grands magasins était essentielle et va assurer aux marques de prestige une visibilité importante leur permettant de développer leur business. Son second point d’ancrage sera les magasins de détail, Parfumeries et Instituts de beauté, qui constituaient un créneau conséquent et dense de distribution pour cette époque. Bien qu’il y ait eu un certain chevauchement entre les lignes française et américaine dans les années 1950, il y eu une divergence croissante. Cela peut être le reflet du positionnement différent de la marque de part et d’autre de l’Atlantique et d’un désintérêt croissant pour la société mère. En France, après s’être appuyé au début sur la gamme américaine, Barbara Gould va développer sa position grâce à la reformulation progressive de la gamme, avec dans le même temps l’adoption d’un nouveau logo basé sur Leda et le Cygne.

Un nouveau packaging sera également introduit. La marque est dirigée à cette époque par Jacques-Pierre Normand, qui après avoir présidé aux destinées de Bourjois et de Chanel, avait relocalisé les opérations de la marque au 135 avenue Charles de Gaulle à Neuilly. Le développement se fera dans les Laboratoires Bourjois et la production se fera progressivement dans l’usine de Pantin.
A la fin des années 50, la gamme européenne qui repose toujours sur l’idée de la simplicité, compte quand même une quarantaine de produits sans compter le maquillage qui constitue une offre complète en plus du soin. Dans les documents ci-dessous, on trouvera la liste des produits figurant aux catalogues dans les années 58 & 60.
Gammes Barbara Gould des 1958 & 1960
Parmi les produits, on trouve les démaquillants assez classiques finalement. Les plus originaux ou spécifiques étaient :
- Le masque Embelline : Certes la pratique des masques était connue, mais ce produit était original à cette époque.
- Les « Complexion cream et Oil » à base d’une huile très spécifique, le Cosbiol, reprenant probablement les formules américaines. Cette huile baptisée également Perhydrosqualène, était issue d’huile de foie de poisson et constituait un ingrédient de base très réputé. Il est connu de nos jours sous le nom de Squalane, mais l’origine a changé, maintenant végétale. Les propriétés sont restées les mêmes.
- La crème Généreuse, un cold Cream de base, genre Skin Food.
- La crème Néovital au Lecibiol, un actif mis au point par le Laboratoire Barbara Gould à base de lécithine et de vitamines liposolubles.
- La crème Picturale, une base de maquillage anhydre a effet poudré.
- La crème Hydratante.
- La La crème Intempéries, héritière de la Weather cream de la gamme initiale.
- La gamme Genhydra qui se veut la gamme la plus sophistique de l’ensemble.
@Cosmétothèque avec des images Chanel
La marque proposait également une gamme complète pour le maquillage: Gamme 1971. Les produits reposaient sur le savoir-faire de la marque Bourjois, très experte dans le domaine des Rouge à lèvres et des Fards. Mais les produits les plus originaux étaient le Microsillon et l’Actifluid.
- Le Microsillon était un Fond de teint anhydre coulé dans un boitier. Son originalité venait du fait que la surface était micro-sillonnée tout comme un disque de musique.
- L’Actifluid quant à lui était proposé en 2 versions, une version pour peaux grasses et une version pour peaux sèches. Il se présentait sous la forme d’une poudre finement dispersée dans un mélange d’huiles fines comme le Cosbiol pour la qualité Peau sèche et le myristate d’isopropyle pour l’autre version. La poudre se séparait lorsque le produit restait au repos, pour se mélanger de nouveau par agitation à l’usage. Ce type de produit, après avoir disparu de l’offre des marques, est revenu en force dans les années 2000 avec des produits comme l’Eau de Teint du groupe L’Oréal. Le produit a subi une cure de rajeunissement avec des huiles différentes, mais exactement sur le même principe de formulation.
Progressivement la gamme va être complété dans les années 60 puis 70 par de nouveaux produits. La marque a été alors dirigée par un certain Monsieur Germain, puis par Émile Bouhanich, devenu Directeur général. C’est ainsi qu’une gamme Peau normale et mixte va apparaître, la gamme Biogener contenant de l’Actigène et se proposant d’hydrater et de normaliser la production de sébum. La gamme Matskin à base de Trigenol, proposée aux peaux grasses va compléter la proposition. La crème Aveynul, de couleur verte et à base d’extraits de Marrons d’Inde, s’adressera aux peaux couperosées. La crème Filène était une crème pour le corps, amincissante (extrait de fucus) et adoucissante. Deux nouveaux Démaquillants, Lait et Crème Netskin à l’Actigène. Dans le domaine du maquillage, un fond de teint fluide, le Teintamat proposé en plusieurs nuances. Pour finir, des produits solaires pour faire comme les grandes marques, Lancaster ou Orlane par exemple, qui commençaient à essayer ce marché avant d’être délogé par le mass market. Et bien entendu un Parfum.
En 1970, la marque va travailler sur un projet très avant gardiste, une gamme personnalisée. Le projet va faire long feu mais sera développé jusqu’au bout: La gamme personnalisée:
La nouvelle gamme.
Face à un besoin d’actualisation, la gamme va être entièrement reformulé en 1980 en reprenant la notion de « Acts of Beauty » développé aux USA à partir de 1954 par l’affaire américaine, toujours dans l’idée de renouer avec la simplicité. La société est alors sous la direction d’une nouvelle Présidente, Micheline Kaufmann. Ce nouveau positionnement va conduire à la reformulation de toute la gamme à partir de la gamme de l’époque pour assurer une continuité satisfaisante. Les formules seront entièrement revues dans le but de les actualiser. Le recours à des formules plus légères, principalement de type phase aqueuse continue en lieu et place des émulsions grasses ou des formules anhydres, avec des ingrédients du moment, seront proposés. La gamme a été revue sous la forme de « formules-réponses » en trois lignes de soins quotidiens et une collection de produits pour les soins spécifiques :
- Les Sèves Généreuses,
- Les Rosées Biogener,
- Les Intempéries,
- Les attentions spéciales.
Dans le même temps, le conditionnement de la gamme de soins a été entièrement revu pour être plus raffiné, plus tendre et féminin, plus clair et précis.
- Sèves Généreuses pour peaux sensibles : Humectants, polyols et aminoacides, Esters de vitamines F, stérols
- Rosée Biogener pour peaux normales à mixtes : PCA, extrait de levure, extrait marin.
- Intempéries pour tous types de peaux : Complexe anti-déshydratant, filtre UV
Les Attentions spéciales ont été créées pour résoudre les problèmes particuliers les plus fréquent qui se posent aux femmes : elles comprenaient 4 produits, auxquels s’était ajouté la Crème Picturale, un produit plus ancien reconduit :
- Crème Super Hydratant à base Complexe anti déshydratant, solution de collagène
- Crème Aveynul pour les rougeurs et la couperose à base d’Escine et de Bisabolol
- Préventine pour la prévention anti-âge à base d’insaponifiables d’huiles végétales et d’Extrait de Prêle.
- La crème contour des yeux pour zone spécifique contenant un complexe anti déshydratant et un dérivé de vitamine A.
- La Crème Picturale toujours à base de Cosbiol (squalane), de stérols et d’azulène.
Une gamme simplifiée de maquillage complétait l’ensemble.
@Cosmétothèque avec des images Chanel
Le déclin continu de Barbara Gould aux États-Unis l’a fait disparaître quelque part après les années 1970, peut-être même avant.
En France, la gamme a continué d’être diffusé. Mais cette marque deviendra moyenne en particulier du point de vue de son positionnement prix. Bâtarde de ce fait, dès que le marché va évoluer entre des produits plus abordables des grands groupes, L’Oréal entre autres, et le développement du marché du sélectif, la marque va souffrir. Il en sera de même de tout une série de marques de positionnement intermédiaire comme Orlane, Harriet Hubbard Ayer et bien d’autres. La marque aura également à tenir compte en plus de son actionnariat qui avec d’autres priorités, investira peu dans cette activité. L’affaire survivra quelques temps puis sera vendue à Reckitt & Colman (France) SA en 1987, qui l’a vendue ensuite à Carter-Wallace en 1999 dans le cadre d’une rationalisation de leurs marques. Carter-Wallace est toujours propriétaire de Barbara Gould aujourd’hui, exploitée par un intermédiaire, les Laboratoires Santé Beauté.
Voilà pour la saga de cette marque qui, et probablement que personne ne s’en souvient, aura été l’un des fleurons de la cosmétique. Innovante avec une égérie emblématique de la beauté bien avant tout le monde, s’appuyant sur un savoir-faire certain, celui de Bourjois, une implantation aux USA qui était le marché de référence feront de tout ça des atouts importants. Enfin avec des produits innovants souvent en avance sur leur temps, elle a traversé son époque en initiant pas mal de choses. Son expertise constituera le socle sur lequel la cosmétique Chanel va se déployer à partir du milieu des années 70, allant même jusqu’à rependre pour la grande marque, le concept des « Actes de Beauté » qui constituera la doctrine soin de Chanel avant Précision.
Merci à tous ceux qui m’ont aidé et en particulier à James Bennett pour son travail de recherche initial.
Jean Claude LE JOLIFF
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