Autant qu’une caresse, les produits cosmétiques peuvent procurer du plaisir. Cette notion a été énoncée il y a quelques années, mais assez curieusement cette question est réapparue lors du salon In Cosmetics 2019 comme une question d’actualité.
Explication : cette question relève peu ou prou de ce que l’on pourrait appeler la Neurocosmétique. Cette approche est apparue dans les années 90 à la suite d’une série d’avancées permettant de préciser certains aspects de la physiologie cutanée. Ce fut tout d’abord des observations confirmant la présence de terminaisons nerveuses très superficielles au niveau de l’épiderme. Ceci remettait en cause des notions plus anciennes qui postulaient que l’épiderme n’était pas innervé, malgré cette vieille expression qui affirmait « avoir les nerfs à fleur de peau ». Les fibres nerveuses intra-épidermiques interagissent directement ou indirectement avec les cellules cutanées et les cellules du système endocrinien, lymphatique et immunitaire. Ces communications ont conduit à la définition d’un système neuro-immuno-endocrino-cutané (SNIEC).

Pour fonctionner, ce système nécessite un langage commun constitué de molécules de différentes natures : les neuromédiateurs, les cytokines et des facteurs de croissance. Ces molécules sont synthétisées et libérées par les cellules de la peau ainsi que par les terminaisons nerveuses intra-épidermiques. Elles agissent sur elles-mêmes et sur les cellules voisines exprimant les récepteurs de ces molécules. Du coup certains concepts de Neurobiologie cutanée ont commencé à faire leur apparition, et plusieurs auteurs vont proposer une série de définition dont celle du SNEIC comme support de ces activités. Nous sommes au début des années 90. Peu de gens avait entendu parler de ces idées, et la notion de neuromédiateurs n’était pas encore très développée. L’idée, nouvelle, va rapidement retenir l’attention. Dans un premier temps ceux qui s’y intéressent vont prendre en considération les interactions entre substances et neuromédiateurs. Dit autrement, est-ce que la peau manifeste certaines caractéristiques via des neuromédiateurs ? Et si oui, certaines substances et par voie de conséquence les produits les contenant peuvent-ils interagir avec ces mécanismes ?
De l’étude des interactions entre nerfs, kératinocytes et autres éléments sortiront des observations permettant de préciser certaines conditions des peaux neurogènes. Ce fût particulièrement le cas du syndrome de la peau sensible. De l’effet des substances sur la libération de substances interférant avec le pool de neuromédiateurs, plusieurs idées plus ou moins établies verront également le jour. Parmi celles-ci on peut citer des substances antagonistes de la substance P ou le neuropeptide Y. Ceci conduira à des produits destinés aux peaux sensibles.
Dans cette mouvance des effets sécrétoires de l’épiderme, d’autres substances seront proposées. Parmi celles qui feront l’actualité se trouvent les endorphines. L’idée n’était pas que les nerfs soient impliqués, mais que plus généralement les capacités sécrétoires des kératinocytes, idée assez périphérique, aient des interactions avec le système nerveux cutané. Ces endorphines étaient alors présentées comme des molécules du bien-être et des « sensations heureuses ». Son contraire est le stress. Il n’en fallait pas plus pour lancer la créativité des équipes sur cette piste. L’idée qui va très rapidement voir le jour est l’idée d’un effet déstressant à partir de substances permettant de faire fabriquer par la peau des molécules antistress. Le concept sera par ailleurs assez régulièrement pollué par une vieille idée qui veut que le cerveau et la peau, ayant la même origine embryonnaire, pourraient avoir des relations privilégiées. Cette idée qui procède autant de la science-fiction que de la réalité physiologique, même si le système nerveux présente une certaine continuité des capteurs sensoriels à l’outil d’analyse, le cerveau, va renforcer l’idée initial du plaisir généré par des produits cosmétiques Par ailleurs, l’idée sera confortée par des observations venant des neurosciences montrant que l’utilisation de produits cosmétiques pouvait activer le circuit de la récompense et produire un effet d’euphorie passager.
La « cosmétique joyeuse » était née !
Du coup, la piste de la recherche de substances produisant localement des endorphines va devenir l’objectif de certains. Les premiers actifs seront présentés à la fin des années 90 et comme c’est la règle, les produits quelques temps après. Parmi les premières substances actives, et contrairement à ce que l’on retrouve régulièrement ou il est d’usage de chercher de nouvelles substances, des produits connus s’avèreront les meilleurs candidats. C’est du côté des peptides que la solution apparaitra. Travaillant sur la notion de substances aux propriétés antalgiques, l’équipe de Sederma, à partir d’une publication initiale de l’Université de Kyoto, va montrer que des oligopeptides particuliers peuvent présenter des propriétés analogues dans cette très intéressante contribution. Une première spécialité, la Sensicalmine, sera développée initialement par Sederma pour des usages proches mais différents. A partir du même peptide, des travaux complémentaires et après reformulation vont montrer que ce peptide pouvait avoir les propriétés attendues. Ce peptide s’appellera NATAH et sera la molécule de base de Calmosensine, actif directement dédié à cette propriété. Au cours de ces travaux, les effets sur la production de pro-endorphines ont été identifiés. Calmosensine contient un des premiers actifs cosmétiques agissant comme messager de la douceur, du confort et de la relaxation. Celui-ci a un effet de modulation des sensations désagréables et agit également sur la relaxation musculaire via des neurotransmetteurs (beta-endorphines, CGRP). De son nom – INCI : ACETYL DIPEPTIDE-1 CETYL ESTER
Parmi les premiers produits finis on trouvera des marques de distribution sélective, Guerlain en particulier. Cette société va lancer en 2003 une série de produit sous la marque Issima Happylogy

Issima Happylogy @GuerlainHappylogy Night: Ingrédient listing
aqua (water), butylene glycol, dicaprylyl carbonate, octyl-dodecanol, glycerin, myristyl myristate, propylene glycol dicaprylate/dicaprate, glyceryl stereate, butyspermum parkii (shea butter) extract, linum usitatissium (linseed) seed extract, sodium polyacrylate, dimethicone, hexyldecanol, steareth-21, methylparaben, parfum (fragrance), SD alcohol 39-C, chlorphenesin, tocopheryl acetate, althaea officinalis root extract, prunus amygdalus dulcis (sweet almond) fruit extract, laureth-3, butylparaben, ethylparaben, theobroma cacao (cocoa) extract, hydroxyethylcellulose, sodium hyaluronate, tetrasodium EDTA, propylparaben, avena sativa (oat) kernel protein, isobutylparaben, acetyl dipeptide-1 cetyl ester, chlorhexidine digluconate, ruscus aculeatus root extract, sanguisobra officinalis root extract, phenoxyethanol, xanthan gum, caprylic/capric/succinic triglyceride, pyrus malus (apple) fruit extract, potassium sorbate, eriobotrya japonica leaf extract, plankton extract, aluminium hydroxide, CI 73360 (red 30 lake)
Dans cette approche tout le concept et les évaluations étaient basées sur un « complexe pro-endorphines » à base de cacao ( Théobroma cacao) pour lequel l’action de synthèse de beta endorphines sur keratinocytes humains avait été démontré, ce qui se traduisait par une augmentation de la proliferation et de la synthèse de collagène sur fibroblastes humains (test in vitro) . Un extrait de Sanguisorba officinalis, actif antistress et activité antiradicalaire sur Keratinocytes Humais stressés par H2O2 faisait partie du complexe. Enfin, la Calmosensine complétait le tout.
A ce jour, cette idée qui avait été un peu oublié, a retenu l’attention de certains et à titre d’exemple on peut citer les brevets :
- Brevet EP1498113A concernant l’utilisation de béta-endorphine et/ou d’agents exerçant une activité béta-endorphine-like en cosmétique et dermatologie.
Ou encore le
- Brevet EP1299081A1 relatif à l’utilisation d’oligosaccharides pour stimuler la production de beta-endorphine.
- Ceux-ci viennent compléter d’autre brevet comme celui-ci: EP1911494A2.
Des principes actifs proposés par des fabricants d’ingrédients ont été développés depuis cette période et sont à l’origine du regain d’intérêt de ce positionnement. Citons de façon non exhaustive et sans valeur de jugement :
Ou encore cet actif qui n’est plus exclusivement sur la stimulation des endorphines, mais de molécules fortement associées au sentiment de bien-être.
- CLOTHOLINE de Syntivia,
Enfin quelques marques surfent également sur cette tendance. Citons celle-ci, mais gageons qu’il y a d’autres et/ou que d’autres verront probablement prochainement le jour: Happycosmetics
Conclusion : Cette tendance, particulièrement intéressante dans le monde de la cosmétique, ne devrait pas être présentée comme quelque chose de totalement nouveau, mais bien plus comme le continuum d’une recherche de qualité commencée il y a maintenant de nombreuses années et qui conduit à comprendre de mieux en mieux le fonctionnement de cet organe complexe qu’est la peau.
Merci à tous qui m’ont aidé dans ce travail.
Jean Claude LE JOLIFF
Pour en savoir plus: Emotion
Pour compléter : Septembre 2020 :
Laisser un commentaire