L’innovation dans le domaine cosmétique a été comme dans d’autres domaines souvent associée à des avancées issues des sciences et du progrès technique. Finalement peu d’innovations technologiques majeures ont contribuées aux progrès de l’industrie cosmétique. Parmi celles-ci on peut citer assez rapidement les peptides, les Silicones, les tensioactifs non ioniques et quelques autres. Beaucoup plus près de nous, il y a les liposomes.
Les liposomes sont souvent présentés à juste titre comme une étape majeure de l’innovation dans l’industrie cosmétique. Cet article n’a pas pour but de faire un point sur l’état de la science ou de la technologie appliquée aux liposomes, mais de relater la façon dont cette technologie est apparue et s’est développée dans le domaine de la cosmétique, et comment elle a contribué à une démarche d’innovation durable dans ce domaine d’application.
Nous sommes en 1986, et suivant le concept « d’innovation en breloque » qui veut que tout le monde fasse la même chose en même temps, des produits un peu particuliers et différents de ceux qui se faisait avant vont apparaître sur le marché. Ceci indiquait une rupture assez importante par rapport aux pratiques habituelles. Petit à petit ces produits vont devenir de nouveaux standards technologiques. Les produits dont nous parlons sont les premiers sur la base d’une nouvelle technologie de vectorisation, la technologie des liposomes. Ces produits s’appellent « Niosomes » du groupe L’Oréal pour le compte de Lancôme, et « Capture » du groupe LVMH à la signature de la marque Dior. Ils sont remarquables dans le sens où ils inaugurent de nouvelles techniques, donc un apport technologique, mais également en impactant d’autres domaines comme une communication différente, des noms de produits plus agressifs et un recours assez systématique au sponsoring scientifique et à la valorisation. Ce sont de véritables innovations du fait de leur impact multifactoriel. De plus, l’apparition de ces produits sera fortement supportée par un fait sociologique, l’effet du baby-boom, conduisant à la création d’une nouvelle segmentation des produits. L’ensemble de ces facteurs fera de cette aventure un fait majeur dans l’histoire de la cosmétique. Raison de plus pour revenir sur la façon dont ils ont été développés puis se sont imposés dans cette industrie.
La technologie : Les liposomes.
Un liposome est un globule de corps gras appelé vésicule, formé par des bicouches lipidiques concentriques emprisonnant entre elles des compartiments aqueux. Ils sont obtenus à partir d’une grande variété de lipides, principalement amphiphiles, dont les plus couramment utilisés sont les phospholipides. Lorsque de tels composés sont mis en présence d’un excès de solution aqueuse, ils s’organisent de manière à minimiser les interactions entre l’eau et les chaînes hydrocarbonées. Cette organisation conduit à la formation plus ou moins spontanée de feuillets lipidiques en bicouches.
Liposome
A l’origine de cette histoire se trouve un groupe de substances dont le comportement a intrigué très tôt les chercheurs. Ce sont des lipides un peu particuliers, les phospholipides et plus généralement les substances amphiphiles, qui se caractérisent par un comportement étonnant car polymorphe et cristallin.
@Wikipedia
L’intérêt pour ces questions trouve assez probablement son origine dans des travaux très anciens qui portaient sur les états de la matière à la fin du XIXème siècle. Des observations faites par des biologistes et des botanistes à l’aide de microscopes polarisants sur des systèmes biologiques les avaient conduits à imaginer que les états classiques de la matière, solide, liquide, gazeux, devaient être complétés d’une notion nouvelle dite de « phases organisées ». Ces observations inattendues seront assez rapidement associées aux propriétés de certains lipides, en particuliers les lécithines, et conduira à la notion de « cristaux liquides lyotropes ». Ces notions, bien qu’assez éloignées de la question des liposomes, ont un certain rapport avec eux car les études sur les membranes cellulaires, plus tardives, permettront de mettre en évidence des phénomènes analogues. Les membranes cellulaires ont fait l’objet de longues recherches mais ce n’est qu’en 1937 que James Frederic Danielli et Hugh Davson formulent l’hypothèse qu’une membrane cellulaire est composée d’une bicouche de lipides en sandwich entre deux couches de protéines. Les travaux des physico-chimistes se poursuivront pendant pour aboutir à des représentations plus complexes, mais toujours sur cette hypothèse. Assez rapidement la nature des constituants de ces structures sera caractérisée pour retrouver ces lipides complexes que sont les phospholipides et plus généralement les lipides amphiphiles. Ces bicouches lipidiques vont devenir le centre de très nombreuses recherches.
La recherche sur la formation de vésicules lipidiques organisées quant à elle commence en 1947. Les liposomes seront mis en évidence par Alec Bangham en 1965. C’était un chercheur anglais qui, en s’intéressant aux phospholipides des membranes des globules rouges, découvrira leur organisation spontanée avec l’eau. Ce chercheur proposera « modestement » de dénommer ces vésicules « Banghasomes », ce que la communauté scientifique ne retiendra pas. Leur similitude avec l’organisation des bicouches lipidiques sera très vite remarquée. L’intérêt pour les liposomes réside principalement dans leur structure et plus spécifiquement dans le biomimétisme, c’est à dire l’analogie structurelle vis-à-vis des membranes cellulaires. La similitude de ces structures avec celle des membranes cellulaires va immédiatement susciter un grand intérêt. L’hypothèse sera que par fusion avec les lipides membranaires, ils pourraient déverser leur contenu dans les cellules. Le monde de la recherche va donc s’intéresser à ces vésicules qui pouvaient devenir entre-autre des transporteurs de molécules. Il s’ensuivra une véritable avalanche de publications scientifiques sur leurs propriétés. Selon certain chercheur, la base Medline® contiendra fin des années 70 plus de 35 000 références dont plus de 2700 revues sur les liposomes
Niosomes
Parallèlement à tout ça mais plus tardivement, une équipe de physico chimistes du groupe L’Oréal dirigée par G. Vanlerberghe et Rose-Marie Handjani proposera dès la fin des années 70 un autre concept appelé NIOSOMES. Cette équipe, en reprenant les travaux sur les phases lamellaires, s’intéressait depuis un certain temps au développement d’agrégats lipidiques pouvant encapsuler des substances tout en étant analogues aux systèmes membranaires naturels. Ces travaux partaient de l’idée que des vésicules lipidiques pouvaient être préparées à partir d’une grande variété de composés amphiphiles. Leur choix s’est porté sur des lipides de synthèse non ioniques pour la formulation de systèmes organisés, les alkyl glucosides. Cette technologie sera baptisée Niosomes à partir de l’idée que ce sont les « liposomes non-ioniques ». Les travaux furent présentés pour la première fois au congrès de l’IFSCC[1] à Sydney en 1978. À l’époque les vésicules de lipopolyglycérol apparurent comme une innovation extrêmement intéressante pour la formulation cosmétique. En effet, on ne connaissait à l’époque que des systèmes de formulation anhydres, ou lipides/eau et des émulsions huile/eau ou inverse, ces nouvelles formulations structurées permettaient de progresser significativement. Le tout premier brevet décrivant ces technologies semble être le brevet français No. 2.315.991 du 30/6/1975. Au terme d’études menées chez L’Oréal, ces préparations sont évaluées comme capables d’avoir une action intrinsèque sur la peau. Des effets assez spectaculaires ont été obtenus sur des peaux sèches (Nouvelles Dermatologiques, vol 5, 1986, 259). L’effet suggéré est dans ce cas plus une restructuration de la barrière épidermique que de délivrance d’actifs, mais ces concepts très proches entretiendront une certaine confusion. Cette technologie était donc un bon candidat pour des applications topiques. Toutefois, l’idée de préparer des suspensions liposomiales prédominera sur celle de la structuration de phase lamellaire, mais permettra quand même d’avancer dans l’exécution de ces programmes.
[1] International Federation of Societies of Cosmetic Chemists
Liposomes et Cosmétique :
L’industrie pharmaceutique sera la première à s’intéresser sérieusement aux liposomes en tant que possibles vecteurs de médicaments. Le terme de « magic bullets » sera utilisé pour décrire ces préparations. Rapidement des « start-up », que l’on n’appelait pas comme ça à cette époque, vont se constituer pour préparer des développements. Mais compte tenu des nombreuses difficultés techniques à surmonter, les développements seront très longs et n’aboutiront que timidement, les exigences de caractérisation, de reproductibilité, de biodisponibilité, d’efficacité et de sécurité étant difficiles à atteindre avec ces vésicules métastables. Si l’industrie cosmétique met plus de temps à s’intéresser à ces questions, elle aboutira plus rapidement. Mise à part quelques équipes travaillant sur des concepts de recherche avancée, peu de travaux sur des applications cosmétiques seront rapportés avant la fin des années 70. L’intérêt que portera l’industrie cosmétique à ces préparations sera en fait associé à 2 effets scientifiques qui étaient discutés à cette époque : l’absorption percutané et le rôle de la membrane cellulaire dans le vieillissement. Concernant l’absorption cutanée, très peu de données étaient disponibles sur les cinétiques d’absorption. Par ailleurs, les travaux sur la description de la structure du stratum cornéum pointaient sur l’intérêt de l’effet barrière et sur les constituants responsables de cette propriété, des lipides spécifiques. Compte-tenu de l’intérêt présenté par les liposomes dans le domaine de la biodisponibilité, des avancées étaient donc envisageables. Quant au rôle de la membrane cellulaire, plusieurs études avaient montré que les changements de viscosité pouvaient être associés au processus de vieillissement cellulaire. Selon cette théorie, la fluidité membranaire est apportée par la présence de phospholipides à chaines carbonées insaturées. L’idée était que l’incorporation de phospholipides végétaux pouvait apporter la fluidité recherchée. Dans les 2 cas, les phospholipides étaient concernés.
C’est sur la base de ces hypothèses que quelques équipes commencèrent à travailler.
Composition des liposomes :
Ils sont constitués principalement de substances très simples d’origine naturelle : lécithine de soja ou jaune d’œuf, ou de lipides synthétiques de type phospholipides. Le cholestérol jouera souvent le rôle de stabilisant de l’ensemble. Au-delà de ces ingrédients de base, les liposomes en fonction de leur caractéristique pourront contenir un grand nombre de substances. Un aperçu nous en est donné dans ce document: http://journalssc.com/en/articles/65815.html. Après un démarrage assez hésitant ne concernant que quelques acteurs dont ceux qui proposeront les premiers produits, l’ensemble de l’industrie cosmétique va s’intéresser à ces technologies et plusieurs fabricants proposeront des technologies d’encapsulation de ce type. On distinguera ainsi plusieurs types de liposomes : oligo lamellaires ou Multi lamellaires, uni lamellaire de grande taille, de petite taille, multiples, archéo-liposomes etc.
Mode d’action des liposomes.
Le mode d’action proposée initialement consistait à croire que les liposomes pouvaient fonctionner comme suggéré par la recherche académique par fusion membranaire pour délivrer au sein des cellules le contenu du liposome. Dans le cas de la peau, la situation est sensiblement différente. Longtemps et encore discuté, un consensus s’est établi sur cette question sur l’idée que ça fait également appel à un processus de biomimétisme, mais différent. En effet, les couches supérieures de l’épiderme sont constituées principalement d’un système de bicouches lipidiques et de cornéocytes. L’analogie des bicouches lipidiques avec la composition des liposomes est assez évidente (indice Hansen identique), et l’on peut imaginer que la fusion entre ces deux structures se fait facilement. Des études d’imprégnation cutanée ont montré que l’augmentation de la capacité réservoir du Stratum Cornéum est en relation étroite avec la pénétration cutanée. La Penetration des liposomes concourent donc à favoriser la quantité de molécules actives présentent dans le Stratum Cornéum avec comme conséquence une meilleure pénétration et/ou une prolongation de la durée d’action. Ceci n’est pas vrai pour toutes les molécules, une étude spécifique à chaque molécule étant souvent nécessaire. De plus, l’eau de constitution des liposomes peut imprégner les couches superficielles du Stratum Cornéum, tout comme les constituants de base, phospholipides et cholestérol. Ceci conduit à une meilleure plastification du stratum cornéum et une amélioration de ses caractéristiques. Enfin, les molécules actives dont les liposomes sont remplis, en concentration plus importante présente une meilleure pénétration et une biodisponibilité améliorée. Bien que certains experts continuent de discuter ces aspects, il s’est établi un consensus dans la communauté scientifique sur le fait que les liposomes peuvent imprégner significativement les couches supérieures du Stratum Cornéum permettant à certaines substances de moduler l’absorption cutanée. De nombreuses études confirmeront leur potentiel à servir de vecteur de molécules actives. Voilà un exemple dans cette Fiche Technique. Par voie cutanée les liposomes jouent un rôle de réservoir permettant de prolonger l’action topique d’un principe actif et d’augmenter les concentrations des molécules encapsuler de façon à modifier leur passage au travers de la peau.
Préparation des liposomes :
La préparation de ces systèmes a été initialement assez délicate, nécessitant une phase de mise au point minutieuse au niveau du laboratoire, puis devant être reproduite soigneusement industriellement.
Au laboratoire, on réalise un mélange des constituants lipidiques et des « actifs » lipophiles en les dissolvant dans un solvant comme le chloroforme ou le dichlorométhane que l’on évapore sous vide à l’évaporateur rotatif. Il se forme alors un film qui est repris directement par la phase aqueuse contenant les actifs hydrosolubles. On obtient ainsi une phase lamellaire dispersée qui sont en fait de gros liposomes. Ces vésicules peuvent s’agglomérer avec le temps et floculer. Pour freiner la fusion des vésicules entre elles, il faut en descendre la taille en dessous de 200 nm. On utilise pour cela une sonde à ultrasons. La suspension prend alors un aspect transparent bleuté caractéristique de l’effet Tyndall.
Mais à la fin des années 70 les liposomes ne se fabriquaient qu’au millilitre et c’est alors que les premières études sur la préparation industrielle, en particulier par Spray Drying pour l’obtention de phases lamellaires déshydratées et l’homogénéisation Haute Pression pour la réduction de la taille des vésicules, ont été réalisées. Par ailleurs, la pénétration cutanée de substances encapsulées [Lipophiles : Rétinoïdes, Phytostérols, Vitamines… et Hydrophiles : Peptides, vitamines, enzymes…] dans les liposomes ont été engagées. Tous ces travaux, dont certain menés par Gérard Redziniak et Alain Meybeck des laboratoires Christian Dior avant de devenir LVMH Recherche, ont permis de fournir des preuves de concept solides et encourager les équipes de différentes disciplines à poursuivre pour ouvrir la porte à des applications aussi bien en cosmétologie qu’en médecine et en particulier en oncologie. Industriellement, certaines phases n’étant pas faisable, de lourdes études de mise au point de procédures de fabrication spécifiques ont été développées (Brevet Dior FR 19820.002.620). Il en sera de même pour la préparation des Niosomes par L’Oréal (Brevet 2.315.991). Cette question résolue, les développements de produits pouvaient démarrer.
Les produits.
C’est dans le contexte des années 80 que des marques vont s’intéresser à des technologies comme celles des liposomes. Rappelons que sans marché, les inventions ne deviendraient jamais des innovations, tout au plus des curiosités de laboratoire. Le marché qui va permettre ce développement sera celui de l’anti-âge. Certes la cosmétique s’intéressait à ces questions depuis longtemps, mais avec des approches différentes et souvent moins scientifiques. Le recours aux ingrédients magiques était souvent de mise. L’effet du baby-boom sera l’élément déclencheur. C’est donc un phénomène de type sociologique autant que scientifique qui va sous-tendre ces développements. En effet cet effet sociologique va conduire l’industrie cosmétique à s’intéresser d’une façon nouvelle aux attentes de ses consommateurs. A cette époque très technophile, on attend beaucoup de la science et de la technique et une pression importante sera mise sur les laboratoires pour trouver dans l’arsenal technique et scientifique une réponse à l’approche anti-âge. Un produit avait déjà montré la voie, le Sérum Night Repair du groupe Estée Lauder, exploitant l’idée naissante des chrono-rythmes. Il s’agissait d’un Gel aqueux, ayant comme revendication principale de favoriser la réparation cutanée pendant la phase de sommeil via des concepts complexes de biologie mais relevant de la science. En Europe, la réponse va s’articuler également autour de la science et de la technique et le recours aux technologies émergentes sera la réponse. Les marques les plus avancées dans la maîtrise de ces technologies vont proposer de nouveaux produits incorporant ces technologies multiphasiques. Les liposomes seront les candidats.
Selon les gens concernés par ces programmes, la formulation de produits à base de liposomes sera dans un premier temps assez difficile compte-tenu du fait que ces structures sont assez fragiles et peuvent très rapidement être détruites lors des phases de formulation, ou par des processus d’incompatibilité. Ceci conduira à ce que de nombreux travaux soient menés dans ce sens à l’aide de techniques de caractérisation spécifiques comme la granulométrie laser ou la microscopie électronique qu’il sera nécessaire de développer alors qu’elles étaient peu utilisées à cette époque. Les modes de préparation de ces spécialités feront également l’objet d’un intérêt particulier en fonction de la spécificité des techniques et des fabricants. C’est dans ces domaines que l’industrie cosmétique va contribuer à faire avancer les choses.
Quoiqu’il en soit, des produits basés sur ces technologie apparaitront sur le marché de façon curieusement concomitante. Nous sommes en 1986. Deux marques vont faire office de pionniers :
- Dior, groupe LVMH avec Capture Résultante
- Lancôme, groupe L’Oréal avec Niosomes
Présentation des produits.
Capture®
@Dior
CAPTURE : le Produit se présente sous la forme d’une suspension de Liposomes (taille d’environ 100nm) sur base de phospholipides de soja non hydrogénés et d’un phytostérol encapsulant des peptides naturels et stabilisés dans un gel d’acide hyaluronique, d’un Carbomer et le tout parfumé.
@Dior
De nombreux travaux vont accompagner le développement de ce produit. Les Publications en témoignent.
Le lancement commercial sera accompagné d’éléments d’informations complémentaires comme par exemple des résultats d’efficacité : DP Capture Résultante FR – 1986 et visuels.
Niosome®

Il s’agit d’une crème blanche dont l’apparence est similaire à une crème traditionnelle, mais qui est en fait structuré par ce nouveau concept de formulation. La marque revendique qu’il s’agit de la première crème anti-âge, qui fera entrer Lancôme dans l’ère du soin de très haute technologie !
Le lancement sera accompagné de nombreuses citations dans la presse : Revue presse Niosomes
Pourquoi ces produits sont-ils des innovations majeures ?
Parce qu’ils permettent de faire évoluer les choses sur plusieurs plans simultanément. Il était d’usage avant cela de construire des gammes complètes de produits incluant plusieurs produits, démaquillant, lotion, crème de jour, crème de nuit et autres spécialités. Soudainement nous allons voir apparaître des produits dits « monadiques », à savoir des produits seuls qui ne seront accompagnés du point de vue marketing par d’autres produits que beaucoup plus tardivement. C’est l’émergence de ce que l’on appellera ensuite les crèmes anti-âge et du marché de l’antiâge qui sera la locomotive du marché pour les décennies suivantes. D’autres éléments remarquables vont accompagner ces lancements pour en confirmer l’aspect innovant :
- Les noms de produits : Les noms des produits, couramment assez classique seront dans le cas de ces nouveaux produits des appellations en rupture: Capture ou encore Niosomes qui reprend assez probablement pour la première fois le nom de la technologie ayant présidée au développement.
- La communication, résolument orienté sur l’apport technique et scientifique.
- La « starification » des ingrédients : bien plus que précédemment, le discours va s’articuler sur des technologies avancées.
- Le sponsoring scientifique par apport de résultats de test et de démonstration par des instituts de recherche, approche qui se généralisera ensuite.
- Des techniques de caractérisation spécifiques.
Évolution de la technologie
Veille technologique aidant, les fabricants en amont vont assez rapidement s’investir également dans ces nouvelles technologies. Dans les limites de la propriété intellectuelle qui sera un des facteurs limitant, plusieurs fabricants vont se lancer dans cette technologie encore émergente mais prometteuse. C’est ainsi que l’on verra se multiplier progressivement l’offre autour de ces technologies. Ce sera en particulier le cas des principaux fabricants d’actifs dont l’un des plus actif sera Sederma qui proposera des spécialités à partir de 1988, puis plus tardivement Coletica ou encore les Laboratoires Sérobiologiques. On est bien dans la théorie de l’innovation en breloque, la technologie diffuse alors très vite dans les différents domaines. A partir des produits initiaux, on verra rapidement l’offre se généraliser à une vitesse importante, installant cette technologie comme un nouveau standard de l’industrie.
Les techniques de fabrication vont se simplifier et la maitrise des techniques de formulation permettant le développement de produits incorporant des suspensions liposomées de façon stable, permettront la commercialisation d’un grand nombre de produits. Outre les liposomes et les Niosomes, de nombreuses spécialités seront à la disposition des formulateurs pour développer des spécialités. On peut citer de façon non exhaustive les Ufasome® incorporant des acides gras insaturés, les Sphingosomes avec une enveloppe de sphingolipides, les Glucosomes ®. Le succès de ces diverses formes de liposomes a conduit à toute une branche de recherche et de développement d’autres micro et nanovecteurs. Proches des liposomes ou découlant de ces technologies, on peut citer des Lipomicrons®, vésicules exclusivement lipidiques de 500nm, et des Biovecteurs dont le cœur est gélifié, tout comme les Glycosphères ®.
Les Kératosome ® incluant de la kératine dans le cœur réticulé et dont l’idée était de disposer d’une sorte de cornéocytes pour des applications « seconde peau ». Les Dermosomes®, une dispersion aqueuse de liposomes vides, seront présenté comme actif hydratant. Un moyen original de faire entrer un peu d’eau dans le Stratum Cornéum pour le plastifier et l’assouplir.
Parmi tous ces développements, citons une technologie particulière connue sous le nom de Sphérulites® Cette technologie permet en quelque sorte de concevoir des liposomes multicouches se présentant sous forme sèche ou plus précisément de pâte concentrée. Cette technologie a été développée par CAPSULIS, une société créée en 1994 pour développer les applications industrielles d’un procédé de micro encapsulation mis au point par le CNRS au sein du Centre de Recherche Paul Pascal (CRPP) à Bordeaux. Issue de la recherche fondamentale sur la physique des cristaux liquides, cette technologie brevetée consiste à incorporer des principes actifs dans des microvésicules. Les Sphérulites® sont des microvésicules d’environ 1 mm de diamètre constitué de tensioactif en phases lamellaires. Ces structures encapsulent avec un très bon rendement les actifs hydrophiles ou lipophiles pour les protéger afin d’améliorer leur performance par une action ciblée, une libération lente ou encore une absorption favorisée. Les Sphérulites® seront donc des formes galéniques innovantes. Cette technologie sera à la base du développement spécifique d’un nouveau positionnement en cosmétique à partir de 2006, la Médicosmétique, dont la marque Filorga sera le porte-drapeau.
Qu’en est-il de cette technologie aujourd’hui ?
Après une première période où les technologies d’encapsulation préalables (liposomes de 1ère génération) vont dominer, les systèmes formulaire vont évoluer plus spécifiquement vers des dispositifs permettant de structurer des formes lamellaires s’apparentant aux liposomes directement dans la phase aqueuse. Natterman (ex Rhône Poulenc) avait proposé des « Préliposomes », une pâte concentrée de phospholipides qui « permettait aux formulateurs de faire leurs liposomes eux-mêmes », au grand chagrin des fournisseurs de suspensions de liposomes. Mais à l’époque ça ne sera pas un succès commercial. Lucas Meyer Cosmetics réussira un peu mieux. Dans ces approches l’idée est de former directement dans la phase aqueuse des structures lamellaires s’apparentant aux liposomes, emprisonnant les actifs dans le but d’améliorer leur biodisponibilité. Lucas Meyer Cosmetics continuera d’améliorer ses systèmes pour aboutir au système Prolipo® qui permet à ce jour de disposer d’un moyen simple et efficace pour travailler cette technologie.
Après cette période très riche de technicité, une période de « confidentialité » s’est installée. On ne parlera plus ou très peu des liposomes. Ce phénomène est propre à l’industrie cosmétique qui après avoir vanté les mérites d’une technologie, se dépêche souvent de l’oublier. Probablement la tyrannie de la nouveauté qui fait que tout ce qui n’est pas nouveau n’a plus d’intérêt. Toutefois cette technologie ne va pas disparaitre totalement et certains fabricants d’ingrédients fonctionnels vont poursuivre l’utilisation de ce système de façon à disposer de principes actifs dans la biodisponibilité est amélioré pour une efficacité renforcée. A date, on trouve de nouveau de nombreuses utilisations des liposomes, même s’ils ne sont pas ou peu revendiqués. C’est le cas par exemple de Mibelle Technologie dont une bonne partie des actifs à la gamme est vectorisée. À un degré moindre, Greentech est sur la même logique avec plusieurs actifs sous cette forme : RETIMINE III® ROSAMINE® ACEROMINE® Très récemment Oléos Hallstar a lancé (2019) un actif, Look Oléoactif® sous forme de liposomes également, certifié Cosmos ! Enfin soulignons le travail réalisé par Strand Cosmétics qui a développé un système spécifique Strand qui selon eux permet une présentation et une activation des actifs incorporés dans les spécialités développées pour le compte de sociétés donneuses d‘ordre.
Liposomes ciblés.
Le ciblage grâce à ces structures a été envisagé et conduira au développement de quelques spécialités de ce type. L’idée directrice consistant à incorporer une substance dans l’enveloppe lipidique, substance pouvant être reconnue au niveau de structures tissulaires spécifiques. Mais cette approche reste relativement marginale. Elle continue toutefois de susciter un intérêt certain et certains fabricants se sont fait une spécialité de cette approche.
Conclusion : L’innovation par ceux qui l’ont faite! !
L’apport de ces technologies a incontestablement accompagné une période charnière de l’industrie cosmétique. Au-delà de l’aspect technique et scientifique de cet épisode, il est peut-être plus intéressant de considérer les effets collatéraux et les impacts sur l’ensemble de l’activité pour mesurer l’apport de ce genre de choses. A l’éternelle question de savoir si c’est la technologie qui fait l’innovation ou le contraire, on laissera chacun répondre à sa façon à partir de ces éléments. Laissons pour terminer la parole à ceux qui ont fait l’innovation nous en dire un peu plus. Ils nous font comprendre ce qu’est vraiment une innovation avec tous ces aspects : flair, culture scientifique, motivation et quelquefois obstination, qualité de l’exécution, rôle du leader etc.
Voilà pour cette saga dont nous n’avons fait qu’effleurer l’histoire. Pour ceux qui veulent en savoir un peu plus, ils pourront avoir recours à la Bibliographie ci-jointe et peut-être à d’autres textes. Merci aux grands témoins et à tous ceux qui nous ont aidés et bonne lecture à tous.
Bravo à tous.
Jean Claude LE JOLIFF
Je remercie tous ceux qui m’ont aidé dans la préparation de ce dossier, les grands témoins bien évidemment, mais aussi tous ceux qui m’ont fournis des éléments et ou relus ma prose. Merci encore. N’hésitez pas non plus a compléter ce dossier si toutefois vous possédez des informations complémentaires sur la naissance des liposomes en cosmétique.
Bonjour,
Merci pour ce bel hommage aux Niosomes découverts par Guy Vanlerberghe.
Pouvez-vous corriger l’orthographe de son nom dans votre texte ? :
« Parallèlement à tout ça mais plus tardivement, une équipe de physico chimistes du groupe L’Oréal dirigée par G. Vanlerbhergue et Rose-Marie Handjani proposera dès la fin des années 70 un autre concept appelé NIOSOMES.
Amicalement,
Thierry Vanlerberghe, son fils
Merci infiniment pour ce retour. Je fais le nécessaire immédiatement.
Cordialement.
Bonjour,
Merci pour ce dossier sur l’histoire des liposomes. En regardant la composition de Capture, je note la présence de l’extrait de thymus (animal thymus extract) à coté de « Hydrolized animal elastin » et » hydrolized animal protein ». Pour « Capture for eyes » il y a aussi « Terminalia sericea root extract ». Quelle est l’histoire de cet extrait animal de thymus, assez rare aujourd’hui, hormis quelque marques suisses et allemandes? Je le retrouve dans les formulations Rochas / Dior / Chanel/Orlane des années 80. Le fournisseur est probablement le « Laboratoire Sérobiologique ». Les formulations ont visiblement changé après 1995. Comment peut-on remplacer cet extrait? Il ne s’agit pas, de « refaire » une formule, mais d’évaluer l’efficacité d’un produit sans contrainte marketing (animal vs. végétal) avec le regard critique contemporain.
Bonjour.
Merci pour ce commentaire.
Je n’ai pas d’informations aussi précises que celles que vous évoquez, n’ayant pas travaillé directement pour les marques en question. Ces marques sont par ailleurs très frileuses sur ce type d’information.
En ce qui concerne les extraits de thymus l’histoire apparemment est la suivante : du temps ou l’usage des extraits biologiques d’origine animale n’était pas problématique, l’usage d’extraits de thymus était basé sur l’idée que le thymus est fortement associé à la « jeunesse ». Le thymus était regardé comme « l’organe de la jeunesse » d’autant qu’il disparait lors du processus de vieillissement. La « cellulothérapie » faisait grand usage de la chose. La cosmétique s’en était fortement inspiré. Très vite l’usage de ces extraits va être remis en cause suite à la crise de la BSE. L’industrie s’orientera alors vers des extraits biosynthétiques ce qui consistera à utiliser des peptides biomimétiques. Une spécialité sera rapidement disponible s’intitulant Thymuline ou quelque chose comme ça. la jeune société IEB (Institut Européen de Biologie Cellulaire) sera un des pionniers de ces approches. Des tests pour valider les choses avaient été mené dans ce sens.
Dites moi si cela répond à votre remarque.