Le talc est un ingrédient hors du temps, il date globalement de la création de la croute terrestre, et son usage est ancestral dans des préparations de toutes sorte et en particulier dans le domaine de la beauté et de l’hygiène. C’est par ailleurs un ingrédient générique et ubiquitaire d’un grand nombre d’industries. Il est utilisé depuis de très nombreuses années dans pratiquement toutes les catégories de produits. Dans l’industrie cosmétique on a bien souvent oublié certains épisodes autour de cet ingrédient. J’ai rencontré encore récemment des jeunes étudiants n’ayant jamais entendu parler du Talc Morhange ! Il m’a semblé pertinent de faire un petit rappel autour de ces questions
Commençons tout d’abord par une remise en perspective de l’ingrédient. De très nombreuses contributions sur l’utilisation de cet ingrédient en Cosmétique ont été publiées, dont celles-ci dans la cadre de la Cosmétothèque.
- https://cosmeticobs.com/fr/articles/ingredients-50/silicium-et-beaute-2nbsp-silices-et-silicates-en-formulation-2876/
- https://cosmeticobs.com/fr/articles/ingredients-50/le-talcnbsp-un-ingredient-cle-de-la-beaute-1-3628/
- https://cosmeticobs.com/fr/articles/ingredients-50/le-talcnbsp-un-ingredient-cle-de-la-beautenbsp2-3635/
Il connaît à nouveau les feux de l’actualité au travers de différentes choses. Ce n’est pas la première fois. Retour sur quelques évènements clé
L’affaire de la Poudre Baumol. L’affaire de la poudre Baumol comme elle est souvent dénommée, est un scandale sanitaire qui s’est produit en France en 1952. Il s’agit d’un « talc » pour bébés, contaminé par un dérivé d’arsenic, causant environ 500 victimes, dont une centaine de décès, principalement dans le Sud-Ouest et en Bretagne. Le produit d’origine, la poudre Baumol, est une association de poudre de talc et d’oxyde de zinc, parfumée à la lavande. Le produit est créé par les laboratoires Francam et était commercialisé depuis 1914. Les laboratoires Daney, fondés en 1947 rachètent la licence d’exploitation en 1951. Ils en assureront également la fabrication. Lors de la fabrication de ce produit le laboratoire Daney a accidentellement remplacé l’oxyde de zinc par de l’anhydride arsénieux. En outre, le laboratoire avait fait preuve de négligence dans les contrôles, tant pour les ingrédients que pour les produits finis. Les premières alertes sanitaires ont lieu au printemps 1952 et la vente sera interdite fin octobre de la même année.(La poudre Baumol dans la presse.). Ce talc contaminé cause environ 500 victimes, dont une centaine de personnes décèdent, un peu plus de 80 principalement des bébés en Bretagne : Pont-l’Abbé, Penmarc’h, Pont-Aven entre autres. Le Morbihan a connu également de nombreuses victimes, notamment à Hennebont et à Languidic.
En 1959, au terme d’un procès mettant au jour de nombreuses causes de dysfonctionnement, le responsable des Laboratoires en charge de la fabrication est condamné à une peine de prison agrémenté d’une amende conséquente. Annick Le Douget a relaté cette histoire dans un livre : Enquête sur le scandale de la poudre Baumol (1951-1959), la première catastrophe sanitaire française, Le Douget éditions, Fouesnant, 2016.
Le talc Morhange. Plusieurs décades plus tard, une affaire assez semblable à celle de la Poudre Baumol va se reproduire. Elle apparait cette fois dans l’Est de la France dans les années 70.
Les premières observations sont constatées dans les Ardennes et sa région en Avril/Mai 1972 sans que l’explication ne soit identifiée immédiatement. Les symptômes sont des éruptions cutanées, des diarrhées, des convulsions et des comas. En août, les analyses arrivent à leur conclusion et permettent d’identifier que la cause est associée à l’utilisation d’un produit dénommé Talc Morhange et plus spécifiquement à la présence dans celui-ci, d’un bactéricide puissant, l’hexachlorophène, en concentration excessive. L’enquête permettra d’identifier l’origine de l’incident : une erreur de manipulation a conduit à mélanger 38 kilos d’hexachlorophène, produit hautement toxique, à 600 kilos de talc. La teneur de cet ingrédient devait être très faible, mais une erreur de manipulation a consisté à mélanger un bidon de talc normal avec un fond de bidon d’hexachlorophène, croyant que ce dernier bidon contenait du talc. Cette erreur conduisit à la mise en circulation de flacons ayant une teneur anormalement élevée de bactéricide. La firme Morhange, qui commercialisait le produit, ne disposait ni des équipements ni du personnel compétent pour mener des contrôles de conformité, pas plus que la société de conditionnement. Ce produit sera appliqué sur les fesses de 204 nourrissons et 36 en décéderont ! Parmi les autres victimes, nombreuses seront celles qui en conserveront des séquelles sérieuses, neurologiques en particulier. Un procès s’ouvrira devant le tribunal correctionnel de Pontoise en octobre 1979. En 1980, les inculpés sont condamnés à des peines de prison avec sursis, réduites en appel, puis finalement amnistiées quelques années plus tard. Toutefois cet incident, faisant en quelque sorte écho à celui de la Poudre Baumol, influencera très fortement la réglementation sur les produits cosmétique en accélérant son apparition en France en 1975. Des mesures directement inspirées de cet accident seront introduites dans le texte. Cette réglementation servira de trame à la Directive Européenne qui sera promulgué quelques années plus tard (1978).
Dans ces deux premiers exemples le talc en lui-même n’est pas en cause. Il s’agit essentiellement d’erreurs de manipulations associées à des lacunes dans la maîtrise des procédés. Mais une question revient maintenant de manière pressante. Cette question est intimement associée à l’origine du matériau. Elle concerne la présence d’amiante dans le talc.
Talc et amiante. Cette question est très ancienne et même consubstantielle au talc. Mais dans le cas qui nous intéresse, le lien entre ces 2 questions remonte au début des années 70. A cette époque le talc est largement utilisé et l’amiante constitue par ailleurs un ingrédient courant pour de nombreuses applications industrielles. Toutefois, les premiers cas de fibrose pulmonaire chez des sujets exposés à l’amiante avaient été décrits dès 1906. Après que le terme asbestose fut introduit en 1927, la première réglementation visant à réduire le risque d’asbestose sera promulguée. En 1935, un rapport suggérait l’existence d’une relation entre le risque de cancer du poumon et une exposition professionnelle à l’amiante. Par la suite, toutes les études ont confirmé les risques d’affections graves, en particulier cancéreuses, pour les salariés exposés à l’amiante. Ce fut le cas d’une l’étude en 1960, à propos des calorifugeurs de la Ville de New-York.
Dès lors, dosage et caractérisation de la présence d’amiante dans l’environnement vont se succéder. Or, il se fait que de par son origine, l’amiante présente beaucoup de similarité avec le talc, et constitue en fait un contaminant naturel du talc. L’origine de la présence d’amiante dans le talc n’est donc pas anthropique mais naturelle. Le talc est un minéral dont les particules se présentent généralement sous forme de plaquettes mais peuvent, plus rarement, prendre la forme de fibres longues et fines, formant ainsi du talc fibreux.
Tout comme d’autres matériaux qui peuvent contenir de l’amiante, le talc peut être contaminé dans la mesure ou géologiquement talc et amiante peuvent naturellement se former l’un à côté de l’autre. Des travaux montrent que le talc peut contenir, selon les différents gisements de production dont il est issu, d’autres minéraux fibreux ou non fibreux et en particulier des fibres minérales ayant des structures chimiques analogues à celles des six fibres minérales classées comme des fibres d’amiante au sens réglementaire. Certaines mines d’où sont extrait le talc sont donc pointées du doigt.
Au début des années 1970, la découverte d’amiante dans le talc mais surtout chez des adultes de talc dans des tissus tumoraux de l’ovaire sera le déclencheur d’une situation qui n’est toujours pas clarifié. Cette constatation va conduire à de nombreux travaux. Suite à certains de ces travaux, la Cosmetic, Toileteries and Fragance Association (CTFA), l’association américaine des fabricants de cosmétique, consciente de ce problème, a élaboré en 1976 un cahier des charges pour un nouveau produit qu’elle baptisera « talc cosmétique ». Par cette spécification, l’association visait à créer une distinction entre le « talc cosmétique » et le « talc industriel ». L’idée était que les fabricants et les utilisateurs de talc utilisent cette spécification dans le cadre de leurs activités. Mais des discussions entre experts sur les limites et la validité des méthodes de caractérisation proposées interviendront. Les limites de sensibilité et la pertinence de certaines techniques seront au centre des discussions. Des effets de lobbying sont également rapportés. Comme souvent par faute de consensus, ces discussions limiteront fortement les conditions d’application de ces méthodes et la situation persistera de nombreuses années sur un fond de querelle d’experts.
La mise en place d’une politique d’assurance qualité renforcée autour de ces notions semble constituer le minimum. C’est ce que revendique les principaux producteurs de talc et de nombreux utilisateurs, dont le groupe J&J pour la cosmétique. Enfin, dans la mesure où d’autres substances peuvent se substituer aux ingrédients en question dans ces utilisations complémentaires, le plus sage serait de procéder à ce remplacement. A défaut de cela, la situation va perdurer et finira par aboutir à la situation que l’on connaît en 2019. Si le danger est semble-t-il caractérisé, le risque quant à lui reste à définir. En effet si les effets de l’amiante ne sont pas discutables, le rôle du talc et de l’utilisation de produit à base de talc dans les cas décrits est moins évident. Et s’il est bien établi que certaines origines de talc peuvent être concernées, la responsabilité des produits finis reste à confirmer. Tout ceci constitue un cocktail détonnant vis à vis de nombreux acteurs dans lequel il est bien difficile actuellement de se faire un avis objectif.
Baby Powder J&J.
Par le biais de cette histoire d’amiante, le talc est de nouveau discuté au travers d’un incident connu sous le nom de Baby Powder Johnson & Johnson. Alors que ce produit est commercialisé depuis de nombreuses décennies, tout commence en 2011 quand Gloria Ristesund une américaine qui a utilisé pour sa toilette intime quasi-quotidiennement pendant des dizaines d’années le talc fabriqué par le groupe pharmaceutique, a contracté un cancer des ovaires. Pour elle le responsable ne peut être que le talc fabriqué par le groupe pharmaceutique. Après avoir porté plainte contre le groupe et de nombreux épisodes juridiques, un jury américain a condamné Johnson & Johnson à lui verser des dommages et intérêts de 55 millions de dollars. Selon le jury, le groupe n’aurait pas suffisamment informé ses clients des risques de cancer liés à l’utilisation du talc. On retrouve là un des reproches fait au fabricant de l’hexachlorophène dans l’affaire du talc Morhange. Elles n’ont bien évidemment pas de lien. Le groupe est visé par de nombreuses autres poursuites judiciaires. Cette année, J&J a été condamnée à verser plus de 37 millions de dollars US en dommages-intérêts à six autres plaignants qui accusaient son produit Baby Powder de causer le mésothéliome, un type de cancer du poumon. Malgré cela, J&J dit avoir été disculpé de deux procès sur l’amiante en Californie et d’un autre au Missouri. Le groupe pharmaceutique et de produits d’hygiène a annoncé vendredi 18 octobre 2019 le rappel de 33 000 bouteilles de talc aux États-Unis suite à la détection par la FDA de traces d’amiante. La société souligne dans un communiqué avoir engagé ce rappel « par excès de précaution […] suite à un test mené par l’agence américaine du médicament (FDA) montrant la présence de niveaux infimes de contamination par l’amiante chrysotile (pas plus de 0,00002% soit 0,02 ppm !!) dans des échantillons provenant d’une bouteille achetée en ligne ». La société a récemment communiqué sur le fait qu’elle collabore avec la FDA à développer des tests plus pertinents. Par ailleurs, une cause extérieure de contamination industrielle a été évoqué.
Comprenne qui pourra ! Depuis l’affaire est entre les mains d’experts dont les avis s’opposent sans qu’il soit réellement possible à ce jour de se faire une opinion fondée. Bien qu’en Europe cette question n’est pas débattue, il en restera toutefois que le talc est au milieu d’un épisode qui marquera immanquablement l’histoire des produits de consommation et qui aura probablement des conséquences sur l’histoire de cet ingrédient.
Le maquillage minéral. Ce concept très à la mode depuis plus d’une dizaine d’années, est en fait né bien avant qu’il ne soit présenté comme tel. Le talc a également une relation assez forte avec cette situation et en sera un acteur important. Comme indiqué dans le chapitre « talc et amiante », le talc a fait dès les années 70 l’objet de discussion sur son utilisation. Mais bien avant (années 30), l’utilisation de poudres pour le visage avait également fait l’objet de controverses sur les effets obstruant et nocifs pour la peau. Ces polémiques aboutiront à la mise au point de techniques de micronisation ou du « bite test » (évaluation empirique de la granulométrie des poudres). Quoiqu’il en soit les discussions vont se cristalliser progressivement sur ces questions. Fin des années 70, Il s’en suivra toute une vague de produits dits « talc free » dans lesquels le talc sera remplacé par des matériaux supposés moins suspects. Quelques marques ne manqueront pas d’essayer même d’utiliser cet artefact pour définir des positionnements originaux. Ce sera entre autres le cas d’une marque naissante dénommée Bare Escentuals. En 1976 sa fondatrice Diane Richardson Ranger ouvre son premier magasin à Los Gatos, près de San Francisco en Californie. C’était un petit magasin vendant des produits de beauté mais qui parmi eux comportait une poudre minérale entièrement naturelle, vendue au poids, et qui selon elle permettait de dissimuler les problèmes de peau tels que la rosacée, les cicatrices et adaptées aux peaux sensibles. L’accueil sera mitigé. En 1994, Leslie Blodgett reprend la marque. Consciente du coté inhabituel du produit, des poudres en vrac, Leslie Blodgett se concentre alors sur la poudre dite Bare Minerals destinée les femmes ayant des problèmes de peau qui pensait-elle auraient eu du mal à utiliser d’autres produits du marché. La marque deviendra Bare Minerals en 1997. Du point de vue de la formulation, Diane Richardson voulait créer des produits sans ce qu’elle appelait les » Seven deadly skins » : parfum, talc, alcool, huile minérale, conservateurs, émulsifiants et colorants. Le référentiel prévoyait donc de ne plus utiliser de talc au profit d’ingrédient comme le Mica. Les autres ingrédients de base sont l’oxyde de titane, l’oxychlorure de bismuth ou l’oxyde de zinc. Cette philosophie deviendra le credo du maquillage minéral. Ce concept prendra assez rapidement son envol. Son positionnement et sa légitimité sera renforcé en le présentant peu ou prou comme la réponse « maquillage » (aux peaux mixtes à tendance grasse) à la « cosmétique bio » (la clean beauty qui ne s’appelait pas encore comme ça). Le concept était installé. Ultérieurement les craintes autour du talc se feront de plus en plus discrètes et son utilisation ne sera plus remise en cause. Toutefois la marque continuera et le concept du maquillage minéral sera bien ancré. Il se développera en parallèle de positionnement plus standards. De très nombreux produits verront le jour dans cette mouvance, même si le concept de formulation ne sera plus vraiment respecté. A date, la marque Bare Minerals fait partie du groupe Shiseido qui continue de développer ces concepts et les produits composant les gammes.
Conclusions :
Voilà comment le talc a été mêlé probablement très involontairement à toute une série d’histoires touchant au monde de la beauté. Au final, au-delà de nombreux exemples où le talc est étranger à toutes suspicions, ne serait-ce que par les quantités astronomiques de produits à base de talc vendues dans le monde entier pendant des décennies, le talc a été le support de contaminations désastreuses qui ont altéré durablement sa réputation. Dans plusieurs exemples ce n’est pas l’ingrédient qui est en cause, mais les pratiques et donc méfions-nous des amalgames.
Sur la présence d’amiante, rappelons que celle-ci est constitutive du matériau. Ce ne sont pas des ajouts volontaires, aucune marque sérieuse n‘utilise d’amiante. Cette question rejoint d’ailleurs celle des traces d’éléments de diverses natures dans les substances d’origine naturelle. Ce n’est pas pour autant que ces produits sont particulièrement dangereux. Prenons simplement pour exemple la vogue remarquable de produits à base d’argiles, elles-mêmes naturellement contaminées par des traces infinitésimales de métaux lourds. La « sur réaction » de certains acteurs : autorités, médias, associations de consommateurs risque de nuire gravement à l’avenir de cet ingrédient. Le renforcement des contrôles de qualité suffira-t-il à calmer le jeu : la suite nous le dira.
Si on ne sait pas où on va, on peut au moins savoir d’où on vient. C’était l’objet de ce travail. Merci de l’avoir parcouru.
Jean Claude LE JOLIFF
Remerciements :
- Laurence Bacilieri, pour sa connaissance intime du marché américain.
- Jean Marc Giroux, expert toxicologue/Pharmacologue, pour m’avoir aidé à comprendre.
- Tous ceux qui m’ont aidé par la relecture des différents épisodes.
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