Cette appellation a souvent fait sourire, pour ne pas dire plus, les spécialistes de la cosmétique, voire d’autre secteurs, tant la notion de placenta est fortement associée au règne animal et certainement pas au végétal. Or, cette approche, outre son originalité, a conduit directement ou indirectement a des tendances fortes en cosmétique, comme l’émergence de la cosmétique bio ou de l’idée des extraits de cellules souches végétales comme principe actif, le fameux PSCT pour Plant stem cells therapy.
Retour sur l’histoire sur ce thème.
Le placenta et les extraits placentaires en cosmétique. L’utilisation de produits biologiques dans les produits cosmétiques remonte à l‘époque où l’idée de thérapie cellulaire a commencé à se faire jour. C’est dans l’entre-deux guerres qu’il verra le jour. Orienté dans un premier temps sur des extraits glandulaires compte tenu du rôle des hormones dans le vieillissement dont on découvrait le rôle, très rapidement le placenta trouva un intérêt particulier. Le placenta est considéré depuis toujours dans un grand nombre de pays du monde, comme un matériau précieux, rempli de symbolique. Pour certaines cultures, il est traditionnellement enterré dans un lieu précis où il exerce une fonction protectrice vis-à-vis de la famille. Dans les pays du Maghreb par exemple, on enterre les placentas au pied de grenadiers pour les filles et de figuiers pour les garçons. La saga des extraits placentaires a débuté en 1930 lorsqu’un ophtalmologue russe, Vladimir Filatov, spécialiste des greffes de cornée, remarqua de meilleurs résultats quand les cornées transplantées étaient maintenues au froid ou soumises à dessiccation pendant un certain temps. Il émit alors l’hypothèse que tout tissu vivant mis en situation de souffrance fabrique et libère des éléments bioactifs destinés à maintenir ses cellules en vie. Sans que l’on sache à l’époque qu’elle pouvait être la nature chimique de ces éléments, ils furent baptisés « biostimulines ». On sait maintenant que ces mystérieuses biostimulines sont des peptides très proches des facteurs de croissance, ce qui expliquerait leur action. La théorie de Filatov fut alors appliquée à d’autres tissus animaux et en particulier au placenta qui, par sa fonction, était de nature à fournir des éléments bioactifs. Ces approches ont permis aux marques de cosmétique de disposer d’une alternative à l’utilisation d’extraits hormonaux dont l’utilisation se développait entre autres aux USA comme Amor Skin qui était une crème proposée par la marque allemande Opterapia, ou encore Helena Rubinstein qui proposait dans les années 30 un produit composé de deux spécialités s’intitulant « Hormone Twin Youthifiers ». Mais l’usage de ces substances étant interdit en Europe, ceci conduira les marques à rechercher des alternatives. Dès 1950, les extraits placentaires furent utilisés en cosmétique à partir de 2 logiques :
- Les extraits placentaires animaux, le liquide amniotique principalement,
- Ou des extraits placentaires d’origine humaine.
Le laboratoire Mérieux, implanté à Lyon, possédait une technique d’extraction des gammaglobulines à partir des placentas d’origine humaine. Les résidus d’extraction étaient rejetés. Ils devinrent alors très vite une spécialité lyonnaise. Le Professeur Cotte, pharmacien biologiste des hôpitaux, eut alors l’idée de les valoriser en leur appliquant la théorie de Filatov pour en faire des extraits enrichis capables de favoriser le renouvellement cellulaire. Ces extraits furent alors commercialisés sous le nom de Phylderm par la société Gattefossé installée à Lyon.
En reprenant ces travaux, Bernard Guillot, pharmacien ayant travaillé au sein de la société Gattefossé, mis au point en 1959 une crème particulièrement efficace pour le traitement des grands brûlés, crème expérimentée avec succès à l’hôpital Saint-Luc à Lyon. Cette crème portait le nom de « Placentor ». La première crème nait en 1959, à Lyon, à un moment où l’institut Mérieux récolte à profusion le placenta issu des maternités du monde entier.
Le placenta végétal. Tout comme les extraits placentaires animaux dont l’utilisation sera remise en cause entre autre par la BSE, l’interdiction des dérivés sanguins au début des années 90 mettra un terme à l’usage des produits sanguins dans les produits cosmétiques. Bernard Guillot, qui entre temps avait pris la direction de la R&D de la société Sicobel, passionné de plantes, a trouvé alors dans la littérature des publications sur ce que les botanistes français et anglais appelaient le « faisceau placentaire ». Il s’agit d’une substance présente sous le pistil de la plante. Il baptisera cette substance « Placenta végétal » et cherchera à reproduire un effet analogue. Ce passionné de botanique s’appuie sur la gemmothérapie, la phytothérapie par les bourgeons. Ce concept reviendra dans les années 2000 avec les extraits de méristème que l’on appelle improprement « cellules souches végétales ». Le placenta végétal puise son efficacité dans les nutriments essentiels qu’il contient : acides aminés, peptides, sels minéraux contenus dans les tissus végétaux à l’état natif. Situé sous le pistil des jeunes plantes il joue le rôle de liquide nourricier en alimentant le fruit pendant sa croissance. Le but sera atteint en associant un hydrolysat riche en oligopeptides issus du soja, avec un extrait de bourgeon riche en éléments nutritifs. Ainsi naît le concept de Placenta végétal. Testé de plusieurs façons vis à vis de ses propriétés, il montrera une très bonne aptitude à la stimulation biologique (augmentation de la consommation d’oxygène), ou encore au contrôle de la Perte Insensible en eau (PIE), une des fonctions essentielles de tout cosmétique. Par ailleurs, l’actif mis au point s’avère riche en aminoacides dont le couple leucine /isoleucine qui sont nécessaire à la synthèse du collagène.
Sicobel
Créé en 1959, le Laboratoire Sicobel est spécialisé en dermocosmétique naturelle, et prendra en charge la commercialisation de la crème Placentor. En 1991, suite à la découverte de Bernard Guillot, le placenta végétal remplacera comme actif dans la gamme qui prendra le nom de Placentor Végétal. Il a donc eu l’idée de travailler sur ce matériel végétal, et l’incorporer dans sa base de crème en le substituant au placenta humain. Bien lui en a pris car sa formule a été presque prête au moment de l’interdiction, et en quelques mois de travail supplémentaire il a pu » switcher » sa formule et continuer la commercialisation.
Nicolas Fouchère reprend les rênes de Sicobel après une expérience de 6 ans comme pharmacien titulaire, puis une carrière dans l’industrie et la distribution. Nicolas est pharmacien, promotion Lyon 1978, attesté d’homéopathie un certificat passé en 1987. Sicobel était alors une petite entreprise équivalent aujourd’hui à un chiffre d’affaire de 120.000€, quasiment mono produit. Cette crème a beaucoup été vendu dans sa pharmacie, étant lui-même très versé sur la pharmacie par les plantes. Il nous dit : « Je me suis toujours étonné compte tenu des résultats, que cette crème soit si peu connu. Et cela m’a décidé, après m’être formé à l’EM Lyon au Centre de Perfectionnement aux Affaires (CPA) en 1981, à retourner dans l’industrie ou j’ai été Directeur Commercial et Marketing des Laboratoires HYDRA en Alsace, à reprendre la suite de Bernard Guillot quand il a mis en vente en 1996 Sicobel. Mon idée était d’en plus de « naturaliser les formules », de faire de Placentor Végétal une véritable gamme de dermocosmétique. Du mono produit nous construit une gamme tout en structurant le laboratoire en intégrant tous les services de la conception à la fabrication et commercialisation. Sicobel sera racheté par le groupe CONDAT qui continu a date à développer la marque.
Voilà pour cette saga, mais au-delà que retenir de cette histoire ?
Par exemple comment à partir d’un développement original et d’une logique de sérendipité sous la contrainte, la cosmétique biologique va petit à petit apparaître. Ce n’est évidemment pas le seul facteur déclenchant, mais cette « petite » marque fera partie du groupe de marques à l’origine de Cosmébio, une organisation qui donnera assez rapidement une impulsion assez forte à la cosmétique biologique. Ceci conduira à la naissance des procédures de certification type Ecocert, dont chacun connait l’importance. Puis de proche en proche, le concept du bio va s’installer pour finir par constituer une vraie innovation dans le monde de la cosmétique, même si le moteur n’est pas nécessairement l’innovation technologique. Cet épisode illustre très bien comment d’une obligation réglementaire on peut faire un fait majeur. Mais aussi, la gemmothérapie va se développer en particulier par l’intermédiaire de la société Gattefossé avec le premier produit de la gamme Gatuline, la Gatuline RC BIO, issue de bourgeons de hêtre. Pour finir, lorsque le discours sur les cellules souches se précisera, apparaîtra le concept de PSCT (Plant stem cells technology) qui consiste à utiliser des cellules souches d’origine végétale où par des techniques appropriées, on arrive à préparer des principes actifs ayant des propriétés bien précises. De nombreuses spécialités existent sur ce créneau, la première d’entre elle ayant été proposé par la société Mibelle à base de cellules souches de pomme. Beaucoup d’autres suivront.
Voila. Merci pour le lecture.
Jean Claude LE JOLIFF
Remerciements à : Bernard Guillot, Nicolas Fouchère, Eric Brun.
Bonjour, je viens d’acheter la crème capillaire avec vit.E pour appliquer sur le cuir chevelu.
Mais je ne sais comment procéder. Faut-il se laver les cheveux avant ou après ,combien de temps dois- je garder la crème après l’avoir appliquer. Le faire 1 ou 2 fois/ semaine …etc…
Pourriez- vous m’aider. Merci à l’avance. Elsie. Langlais
Désolé, je suis incapable de vous répondre. IL faudrait vous adresser à la marque qui vend ce produit.
Bien à vous.
En Allemagne il y avait le produit Hormocenta (Berlin, prof. Ferdinand Sauerbruch, cca 1954-1956). L’extrait placenta selon Filatov est bien connu dans l’Europe de l’Est (crème Nutrin Roumanie cca 1966) et l’URSS. En France, j’ai retrouvé « Dermalia au Méristel » (Yves Rocher, cca 1986 à base de méristem pour les peaux sensibles) avant ADN Végétal. C’est probablement le même principe, présenté d’une manière différente.
Le concept « placenta végétal » n’est pas loin des phytostimulines des années 50 (Sabetay, Rovesti, etc.) ou l’application de la méthode Filatov sur les jeunes pousses (aloe vera, soja, germes de blé, etc). On connait mal la méthode d’extraction et le procédé pour évaluer le terme « placenta ». PSCT est certainement une approche nouvelle est différente. Il reste a savoir à quel point les extraits classiques ou contemporains sont efficaces. « Phytostimulines aloe vera à l’ancienne » par rapport à « stem cells technology ». Il y a aussi « placenta » vs « placenta végétal ». On connait très bien la composition chimique et les différences. Je vous propose de discuter aussi un autre extrait qui a une action similaire de stimulation biologique (augmentation de la consommation d’oxygène). Il s’agit de l’histoire de l’extrait de lévure.
Très intéressant.
Vous avez apparemment des informations intéressantes. Seriez-vous intéressés par la rédaction d’une contribution que nous publierions ? Sinon et si vous avez des éléments, vous pouvez peut-être me les faire parvenir pour que nous puissions compléter nos recherches. Plus généralement, si vous avez envie de coopérer à nos travaux, vous seriez le bienvenu.
Vous avez raison, le concept de placenta végétal intègre cette idée de phytostimulines, mais le lien avec Filatov est plus de le remplacer que de faire pareil. Dans l’exemple que nous développons, la mise au point du Placenta végétal a été mené à partir de spécialités de Gattefossé, dont les Gatuline qui sont une des spécialités de cette société.
Merci encore de vos commentaires.