Cette année, l’actualité est encore fortement associée à In-Cosmetic, et quelques éléments remarquables et intéressants en sont issus. C’est le cas par exemple du « meilleur ingrédient » de l’année qui réactualise une approche dont on avait oublié la pertinence et qui consiste à extraire des plantes à parfums des substances intéressantes pour des applications cosmétiques autres que parfumantes.
Honorer les dieux, soigner, séduire : ce sont les fonctions historiques du parfum. Pendant des siècles, les parfums se badigeonnaient ou s’avalaient en tant que médicaments et pas uniquement pour parfumer. L’odeur était considérée par exemple comme un principe actif contre les miasmes. Le XXIe siècle redécouvre ces vertus thérapeutiques.On entend souvent que la cosmétique et la parfumerie seraient à peu près la même chose et que l’une découlerait de l’autre plus ou moins directement. Ce n’est que très approximatif, et s’il est vrai que pendant longtemps la parfumerie a primé sur le cosmétique, qui était réduit au rang de recettes et de pommades miraculeuses, il n’en est rien. Ce sentiment a été également renforcé par l’idée que les grandes marques de parfumerie du XIXème comme Pivert, Bourjois, Violet etc., étaient également des fabricants de cosmétiques. Mais petit à petit les choses se sont précisées et chacun à « voler » de ses propres ingrédients. On a donc fini par créer et entretenir une frontière entre parfums et cosmétiques, en particulier au niveau des ingrédients. Or il se fait que ces deux spécialités, bien que très différentes, peuvent trouver des terrains de rencontres quelques fois un peu inattendus. Il y a quelques exemples qui font que l’osmose entre ces deux spécialités et l’interpénétration est bien plus ténue qu’on ne voudrait bien l’imaginer.
Sans reprendre l’exemple des huiles essentielles qui est un peu particulier, dans les anciens manuels de galénique on trouve de très nombreuses formules ou recettes de produits présentant une assez forte odeur, que ce soient des baumes, ou des spécialités plus précises. On peut citer par exemple l’Eau de la Reine de Hongrie, l’Eau des Carmes, le baume du Tigre, baume de Jérusalem ou le baume de Saint Antoine et de très nombreuses spécialités de ce genre. Ces produits étaient souvent cosmétiques et thérapeutiques confondus. Il s’agissait de recettes bien souvent préparées sous forme de « Liparolés » ou « d’essence » selon la terminologie de l’époque. La prescription de ces produits n’était pas toujours très claire, et quant à leur niveau d’efficacité, il reposait plus sur la tradition que sur de véritables études.
Lotion pour les soins de l’épiderme | |||||||||||||||||||||||
Glycérine neutre | 300 | ||||||||||||||||||||||
Eau de fleur d’oranger | 30 | ||||||||||||||||||||||
Eau distillée de Rose | 600 | ||||||||||||||||||||||
ESSENCE DE GÉRANIUM | 10 gouttes | ||||||||||||||||||||||
Alcool 90 | 50 | ||||||||||||||||||||||
Solution sulfo de fuschine | 5 gouttes | ||||||||||||||||||||||
Solution d’éosinate de Potasse | 10 gouttes | ||||||||||||||||||||||
Formules extraites du « Formulaire des principales spécialités de parfumerie et de pharmacie » par René Cerbelaud – 1906 – pages 94 & 124 |
Mais petit à petit les choses vont se préciser, et la scission sera nette entre les spécialités. Toutefois nous verrons apparaître régulièrement des substances cosmétiques issues de techniques d’extraction propres à la parfumerie, ou éventuellement des préparations ayant la double propriété : odeur et activité biologique.On peut citer comme exemple les extraits de camomille. La camomille était utilisée depuis l’Antiquité, particulièrement en Egypte. L’extrait de Camomille matricaire est obtenu par macération longue des fleurs sèches de la plante dans un mélange de glycérine végétale et d’eau. L’huile de camomille est obtenue suivant le principe général des huiles essentielles. D’une façon générale, on leur reconnait des propriétés calmantes, apaisantes et adoucissantes, dues à la présence de molécules aux propriétés anti-inflammatoires et antibactériennes telles que l’Azulène ou l’alpha-Bisabolol, ce qui leur donne la vertu de calmer les irritations des peaux sensibles et abimées. Ces deux substances vont connaitre un vif intérêt. Voyons-les de plus près.
Azulène
L’azulène est un hydrocarbure aromatique polycyclique. C’est un monoterpène isomère du naphtalène, mais avec des propriétés sensiblement différentes. Il se présente sous la forme de cristaux bleu foncé qui sont utilisés en cosmétique. C’est un constituant des huiles essentielles, en particulier de l’huile bleue de la camomille matricaire, dite également huile d’azulène, qui en contient entre 9 % et 12 % (sous forme de chamazulène), de l’achillée millefeuille qui contient environ 3 % de chamazulène et du cyprès bleu (callitris intratropica) qui contient environ 1 % de guai azulène. Le nom azulène vient de l’espagnol « azul » qui veut dire bleu.
Il a existé de très nombreuses spécialités cosmétiques utilisant cet ingrédient, plus particulièrement des produits a visé anti-irritante ou calmante comme des sérums, crème, masque, ou encore des produits après l’épilation, exposition au soleil ou toute autre facteur pouvant causer une irritation. Le problème majeur est lié à son instabilité colorimétrique, les produits se décolorent très rapidement, et son incorporation dans des formules cosmétiques doit prendre en compte cette caractéristique.
Bisabolol, ou alpha-bisabolol.
Le bisabolol est un alcool sesquiterpène monocyclique présent dans certaines huiles essentielles, et possédant deux isomères, α et β, et à leur tour deux paires d’énantiomères lévogyres et dextrogyres car chaque isomère possède deux centres stéréogènes. La forme naturelle est l’α–(–)-bisabolol, également appelé lévoménol. Le bisabolol synthétique est généralement racémique. Il s’agit d’un liquide huileux incolore à l’odeur légèrement florale, pratiquement insoluble dans l’eau et la glycérine, mais soluble dans l’éthanol. Il possède une action « anti-inflammatoire », calmante et adoucissante pour la cosmétique et est utilisé depuis longtemps. On le trouve dans l’huile essentielle de camomille sauvage et à un degré moindre dans l’huile de bergamote ou dans l’écorce de certains arbres. Il a également des vertus antimicrobiennes et favorise la cicatrisation. Il agit aussi sur l’absorption percutanée de certaines molécules.
Il existe de très nombreuses spécialités cosmétiques à base de cet ingrédient. On trouvera une mise au point intéressante sur les différentes utilisations en suivant ce lien.
La production de cet ingrédient va connaître plusieurs périodes. Cet ingrédient était jusqu’à un passé récent obtenu par extraction à partir de plusieurs espèces, comme l’écorce d’un arbre brésilien, le Candeia Tree ou à partir de l’huile essentielle de camomille sauvage. Dans les 2 cas, la production est de très faible niveau et discutable du point de vue de la pureté. Selon les références, la synthèse chimique, autre voie de production, conduirait à une forme moins riche en isomère actif. Ce point de vue est contesté par certaines sources selon lesquelles les différents isomères seraient équivalents. Récemment, la société Givaudan a mis au point un procédé par bio fermentation permettant de produire avec un très bon rendement cette molécule de premier intérêt et d’un niveau qualitatif élevé.
Cette spécialité s’intitule Bisabolife. Elle présente le même profil d’activité que la molécule naturelle, mais avec une facilité de dosage bien supérieur.
Actiscen™
La société Robertet, un des leader de l’industrie de la parfumerie, a développé depuis plusieurs années une gamme de compostions parfumantes présentant des propriétés physiologiques cutanées, partant du principe que la vaste gamme d’ingrédients naturels représente un réservoir d’exploration important pour la cosmétique. Cette gamme appelée Actiscent® est présentée comme une nouvelle approche dénommée « Aromacosmétique ».
C’est le résultat conjugué de l’expertise de Robertet dans les matières premières naturelles et d’un programme scientifique consistant à démontrer qu’un parfum formulé avec des constituants de parfumerie peut apporter, au-delà de son odeur, des propriétés qui intéressent la cosmétique : action anti-âge, hydratante, apaisante, amincissante…En effet, certains extraits aromatiques ont démontré des propriétés physiologiques intéressantes pour la peau. Plusieurs spécialités avec des revendications différentes ont été présentées sur cette base. Une spécialité parfumante avec des revendications de soin de la peaua été commercialisée il y a quelques années par la société Filorga.
Des développements récents ont permis la mise au point d’une approche originale. Sur la base de l’effet bien connu de la toxine botulique utilisée pour lutter contre le phénomène d’hyperhydrose, un mélange d’ingrédients naturels, sans danger pour la peau et dont l’efficacité a été prouvée sur la diminution de la transpiration a été développé. En combinant les propriétés inhibitrices du spilanthol * et du β-sanshool lors de la contraction des muscles sous-cutanés, également appelée effet «botox-like», la transpiration excessive est ciblée. Ces deux N-alkylamides sont des constituants majeurs des extraits de Jambu (Acmella oleracea) et de poivre de Sichuan (Zanthoxylum piperitum).
Vetivyne™
Ce nouveau principe actif lancé en 2018 par Givaudan, combine également les mondes du parfum et du cosmétique. Cette substance a été mise au point en utilisant un extrait hydrosoluble de racines épuisées de vétiver haïtien, un sous-produit de la procédure d’extraction utilisée pour produire l’huile de vétiver pour parfums.
Au niveau de la peau, Vetivyne™ influe sur trois des principales sources de lipides de la peau : il améliore la production de sébum, la kératinisation, ainsi que la capacité des adipocytes à stocker les graisses. Des études cliniques montrent que Vetivyne™ améliore l’hydratation de la peau, réduit les signes de fatigue cutanée et diminue les rides. Vetivyne ™ fait également un pont agréable entre le monde des cosmétiques et des parfums, en renforçant la durabilité des parfums appliqués par l’utilisateur. C’est un excellent exemple d’application d’un principe de RSE, la valorisation des déchets.
Bois de santal
Le traitement de la calvitie pourrait également passer par des composants odoriférants. Il y a quelque temps, une étude a en effet montréqu’une application de bois de santal synthétique stimulerait la croissance des kératinocytes, ces cellules qui forment notre épiderme et que l’on retrouve également à l’origine de nos cheveux et de nos poils. Comment ? Grâce à un récepteur olfactif nommé OR2AT4, particulièrement sensible à cette essence. Au contact de la substance, les kératinocytes produisent des facteurs de croissance et les follicules pilosébacés survivent plus longtemps ! Curieusement la variété naturelle du bois de santal n’aurait pas cette propriété. Ce qui tombe bien car il s’agit d’une espèce végétale protégée. Comme quoi le naturel n’a pas que des qualités ! Des essais cliniques seraient encours pour valider cette hypothèse.
Vers un Parfum-Soin
Dans une publication récente, un expert de l’industrie cosmétique propose de son coté de développer des « parfum-soin ». Cette idée repose sur une observation récente qui a prouvé récemment que les kératinocytes, les cellules de l’épiderme, possèdent également des détecteurs olfactifs en plus de ceux qui régulent son activité. Il est donc tout à fait possible d’imaginer des molécules parfumées qui vont agir sur les kératinocytes. Comme c’est le cas avec d’autres substances, on peut imaginer que ces stimuli pourraient contrôler des actions physiologiques au niveau cutané. Affaire à suivre.
Dans un domaine très différent, mais pouvant avoir une relation avec la peau, une recherche récente a permis de montrer que la croyance selon laquelle respirer de la lavande pouvait avoir un effet physiologique, à savoir calmant et permettant de lutter contre l’anxiété, serait vérifié. En fait l’effet se ferait par le biais du linalole, un des constituants de l’essence de lavande. Ces travaux sont la confirmation de recherches précédentes. Mais pour illustrer le Ying et le Yang de ces substances, rappelons que le linalole est sur la liste des allergènes cutanés !
Ce ne sont que quelques exemples de synergie que l’on peut trouver entre cosmétique et parfum. Gageons que d’autres seront mise à jour et viendront compléter la vaste liste de substances utiles en cosmétique. Si certains d’entre vous ont d’autres exemples dans ce sens, vous pouvez nous les faire suivre pour que nous les intégrions dans ce travail. Merci d’avance.
Préparé par Jean Claude LE JOLIFF
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