En consultant négligemment un site de veille je suis tombé sur une information qui immédiatement a retenue mon attention : certains utiliseraient de la peau humaine pour relier des livres! Enquête faite, cette pratique est bien réelle et Harvard vient de confirmer qu’elle détient un exemplaire de cette pratique: la copie des Destinées de l’âme, une méditation du Français Arsène Houssaye, détenue par la Houghton bibliothèque. Profitant du mondial du tatouage à Paris, il m’a paru amusant de rappeler ce fait. Fascinant même si c’est un peu révulsif: ça s’appelle la « bibliopégie anthropodermique ».
Pourquoi donc appliquer de la peau humaine sur un livre? Cette idée n’est pas le fait de l’auteur lui-même, mais d’un de ses amis. Au milieu des années 1880, Arsène Houssaye a présenté son livre à Ludovic Bouland, médecin reconnu et bibliophile. Comme le livre traite de l’âme et de la vie après la mort, le docteur a donc tout «naturellement» relié le livre avec la peau d’une patiente atteinte de troubles psychiatriques et morte à la suite d’une attaque. Le médecin a d’ailleurs pris soin de laisser une note pour expliquer sa démarche.
Le terme de «bibliopégie anthropodermique», utilisé pour désigner le livre relié en peau humaine, apparaît au moins dès le XVIe siècle. Cette pratique était assez courante à cette époque. Les aveux d’un criminel étaient parfois reliés avec leur propre peau. D’autres personnes demandaient aussi à être immortalisé sous forme de livre pour rester avec leur famille ou leur amant. Si Bonnie et Clyde avaient sévi au XIXe siècle, ils auraient peut-être fait don de leur dépouille à des fins bibliophiliques : James Allen, un bandit de grand chemin notoire aussi connu sous le nom de George Walton, a ainsi tenu à ce qu’un livre soit relié avec son épiderme et offert à celui qui lui avait tenu tête, John Fenno, comme « preuve de son estime »
L’éclairage historique apporté par le responsable de manuscrits rares David Ferris, mérite d’être signalé : « La reliure est pensée comme un hommage, dans l’esprit des bagues et des bijoux faits à partir des cheveux des morts au XIXe siècle, expliquait-il dans l’article du Harvard Crimson ; ce qui nous semble macabre aujourd’hui était vu à l’époque comme une façon d’honorer la mémoire du mort« .
On trouve par exemple sur ce site une liste impressionnante de réalisation à partir de peau humaine : http://titivillus.over-blog.com/article-reliures-en-peau-humaine-114356911.html
Si à l’époque ces pratiques d’un goût discutable étaient très difficiles à mettre en œuvre, de nos jours, par l’intermédiaire des cultures de tissus, cette pratique deviendrait beaucoup plus simple, et qui sait, peut-être renaîtra-t-elle un jour avec les mêmes types de motivation. On fait bien des bijoux avec des cheveux ! Mais ceci nous projette dans futur, où la peau devrait au-delà des soins de beauté connaître également des développements assez spectaculaires. Il en est ainsi de la peau imprimée en 3D. Observez ces 3 exemples
- Une imprimante 3D pour fabriquer de la peau de synthèse. Le domaine de l’ingénierie des tissus biologiques a connu un pas en avant décisif avec l’invention d’un procédé pouvant créer pour un coût modique et en peu de temps un remplacement fonctionnel pour la peau. Le dispositif, ne nécessitant qu’une unique étape, serait le premier au monde à pouvoir créer du tissu vivant rapidement et à grande échelle, ce qui est important dans le cas de la régénération de la peau endommagée par des brûlures ou d’autres blessures étendues. Il a été développé dans l’espoir de remplacer les traditionnelles greffes de peau à partir d’une zone saine des patients, ceux-ci pouvant alors recevoir des greffons fabriqués mécaniquement, plus sûrs, plus rapides à produire et moins coûteux.
- Des cellules souches pour créer des organes par impression 3D : Le bioprinting, ou l’impression de tissus humains, pourrait prendre un nouveau tournant. Pour la première fois, des scientifiques ont réussi à construire une imprimante 3D capable de déposer des cellules souches embryonnaires humaines sans les détruire ni leur faire perdre leur pluripotence. De quoi susciter les plus gros fantasmes, comme la régénération d’organes entiers.
- L’impression 3D de peau humaine pourrait se présenter comme une solution allant bien plus loin que la réponse aux besoins de greffes.
Certaines de ces pratiques ont bien évidemment disparues. Elles ne sont pas à confonde avec les pratiques du tatouage, même si certains pourraient le croire. Dans un clin d’oeil, le Tatoué en a fait le lien. Le Tatoué est un film comique franco-italien réalisé par Denys de La Patellière, sorti en 1968 dans lequel Félicien Mezeray (Louis de Funès), brocanteur d’art, découvre un jour un authentique Modigliani. Autant dire que la fortune est à lui. Enfin presque. Car l’oeuvre a été tatouée sur le dos d’un ex-légionnaire bougon et colérique (Jean Gabin), qui n’a cure des manigances de Mezeray. Ce dernier est prêt à tout pour arriver à ses fins.
L’histoire du tatouage (tatoo) est très difficile à retracer, car même s’il s’agit d’une pratique ancestrale, on ne peut pas encore la situer avec exactitude dans le temps. Le tatouage est une pratique attestée en Eurasie depuis le Néolithique. Beaucoup d’autres éléments attestent de sa persistance et de son développement tout au long de l’histoire de l’humanité. Je suis particulièrement sensible au fait qu’au début de notre ère, les Bretons arboraient de nombreuses marques corporelles souvent décrites comme des tatouages dans les récits de conquêtes de Jules César. À l’origine, ces marques sur la peau étaient des signes d’appartenance à un groupe : tribal, religieux, de pirates, d’anciens prisonniers ou de légionnaires. Mais c’était aussi une manière de marquer de manière indélébile certaines catégories de gens comme les esclaves ou les prisonniers. Il y a le triste souvenir des tatouages des camps nazis. Dans les années 1970, puis plus particulièrement dans les années 1990, un véritable engouement pour le tatouage est né. Le tatouage n’est plus alors une manière d’afficher son appartenance à un groupe, à une tribu ou à un quartier, c’est un moyen de revendiquer son originalité, de séduire, de s’embellir, de provoquer, de compenser. De même des « tatouages » sont appliqués pour faciliter la reproductibilité de certaines thérapies médicales.
De nos jours, c’est une pratique très prisée qui vient de tenir son salon 2018 à Paris et qui donne lieu à des expressions quelquefois étonnantes ! Un jour peut-être faudra-t-il consacrer une contribution a ces pratiques.
La peau humaine constitue donc toujours une source d’inspiration importante et rappelons-nous de cette statue tout à fait remarquable trônant dans le Duômo da Milano, qui met franchement mal à l’aise de part son réalisme et le sentiment grave, sévère et presque malsain qui s’en dégage. Il s’agit de la statue de Saint Barthélemy Ecorché, œuvre réalisée en 1562 par Marco d’Agrate, où le saint montre sa peau jetée comme une étoffe sur ses épaules. Mais elle est fascinante et nous rappelle que la peau n’est pas qu’une simple enveloppe du corps humain, mais bien plus.

Jean Claude LE JOLIFF
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